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seule âme ne suffirait-elle pas à toute l’humanité ? De quoi est faite l’âme ? Où était-elle avant d’entrer dans le corps de l’homme ? Quelle est l’heure précise à laquelle elle y pénètre ? dans quelle partie du corps réside-t-elle ? Comment communique-t-elle avec lui ? La vie est-elle ou non possible sans elle ? Que deviendra-t-elle quand elle sera séparée du corps ? Pourra-t-elle encore penser, sentir et vouloir ? Mais comment concilier sa simplicité avec la multiplicité des actes qu’entraînent de telles opérations ? Et en quoi l’âme de l’homme diffère-t-elle enfin de celle des animaux ? Le spiritualisme écarté, il semble que l’idéalisme devienne seul possible, pour qui nie le caractère absolu de la connaissance et regarde comme une illusion subjective l’idée du non-moi et la croyance au monde. Il n’en est pas ainsi ; l’idéalisme a ce grand inconvénient de conduire inévitablement au scepticisme. En effet, tout en soutenant que nos idées dépendent de la constitution de notre esprit, et ne peuvent atteindre ni l’objet en soi, ni le sujet, il maintient que le but de la connaissance est cet objet même et ce sujet qu’il déclare inaccessibles. Seul le positivisme, en niant résolument l’une et l’autre substance, moi et non-moi, échappe au scepticisme. Dès que l’idée d’un sujet n’est plus qu’une pure habitude mentale de considérer certaines pensées dans une certaine relation les unes avec les autres et avec le reste de nos pensées, elle devient une réalité par elle-même et cesse de requérir l’appui, soit d’un sujet dont elle serait une qualité, soit d’un objet dont elle serait l’image. Sa valeur comme connaissance ne dépend pas de sa ressemblance avec un objet, mais est absolue. La vérité ne consiste pas dans une correspondance supposée avec un terme différent (correspondance qui étant indémontrable introduit nécessairement le scepticisme), elle consiste dans ce simple fait qu’elle est donnée. Bref, M. Ardigò ne distingue pas avec l’idéalisme kantien l’apparence de la réalité, le phénomène du noumène ; c’est l’apparence elle-même qui devient dès lors réelle et la représentation, au lieu d’être une sorte de moyen terme entre deux réalités inaccessibles, demeurant seule, se tient en quelque sorte debout par sa propre vertu et absorbe l’être tout entier. Il semble que ce système pourrait être exactement caractérisé par le nom de phénoménisme absolu. Il va plus loin même que le scepticisme de Hume, et cela pour échapper au scepticisme : Hume, en effet, conservait un objet et, doutant qu’on puisse l’atteindre par la connaissance, s’en remettait pour le saisir à un instinct naturel, à un sentiment (feeling). Impuissante à résoudre le problème métaphysique tel qu’il était posé, la philosophie abdiquait par la bouche du sceptique anglais. M. Ardigò change les termes mêmes du problème, ou mieux il le supprime au lieu de le résoudre. Si l’objet n’est plus qu’un point de vue, dit-il, comment s’y prendra-t-on pour douter de sa réalité ?

Une morale est-elle possible dans un pareil système ? C’est là que les adversaires attendent d’ordinaire les philosophes sensualistes, persuadés de leur impuissance finale à se mettre d’accord avec la cons-