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suite ? des vérités métaphysiques que soutient un principe métaphysique : le principe de causalité. Le scepticisme idéaliste de Kant entraîne inévitablement le scepticisme moral. Qu’il ne le voie pas, cela est incontestable ; mais ce n’est pas la question. Kant reste un grand moraliste, j’en conviens ; mais entre les deux parties de son système, le désaccord est manifeste. La raison théorique et la raison pratique ne peuvent se concilier et toutes les subtilités de la dialectique ne peuvent lever cette opposition.

M. Harms ne nous paraît pas avoir été plus heureux quand il montre avec Kant, comment la Critique du jugement sert de lien et de complément aux deux autres critiques. Ce lien, métaphysiquement parlant, est faible et subtil.

III. Le développement systématique de la philosophie allemande est marqué par les trois grands systèmes de Fichte, de Schelling et de Hegel. Fichte, pour M. Harms, c’est l’idéalisme moral. Il semble qu’avec ce système sa thèse en effet doive triompher. Le système de Fichte, nous dit-on, repose tout entier sur la liberté. Le principe, c’est l’activité libre du moi qui crée l’univers physique et moral et se crée lui-même. Cela est vrai sans doute. Mais, si l’on y regarde de plus près et qu’on ne veuille pas se laisser abuser par les mots, il n’y a là rien qui autorise à penser et à dire que ce système soit un vrai système moral. Il n’est pas vrai que la morale soit à sa base et à son sommet, qu’elle soit le but suprême et le caractère essentiel de toute cette philosophie. Cette philosophie, elle, est aussi, quoi qu’on dise, avant tout, essentiellement spéculative et métaphysique. La morale y vient à sa place, comme développement du principe quand il s’agit des actions humaines. Là où elle apparaît elle est en désaccord, comme chez Kant, avec la partie métaphysique ou spéculative. Qu’est-ce en effet que cette liberté qui en est le premier et le dernier mot ? Qu’est-ce que cette activité libre du moi qui se développe, et, dans son évolution, crée l’univers physique et moral ? Est-ce la liberté morale ? Nullement, c’est une liberté fatale, équivalente à la nécessité, une liberté assujettie, dans son développement, à des lois immuables et nécessaires. Le moi de Fichte, c’est un moi absolu, inconscient, involontaire qui n’acquiert la conscience, la volonté, la personnalité, qu’au dernier terme de son développement. Ce moi n’est pas le moi humain. On ne sait comment le moi fini, humain, vraiment personnel, sort du moi infini, impersonnel. Tout cela, dans le système de Fichte, est non-seulement obscur, mystérieux, un véritable miracle, comme le dit M. Harms lui-même ; mais c’est une flagrante inconséquence dans son rapport avec toute la métaphysique de ce penseur. Lui-même ne peut s’en tirer et M. Harms cherche en vain à prouver le contraire. Il n’y a entre les écrits populaires de Fichte et la Doctrine de la science aucun accord véritable. Du moins cet accord, M. Harms n’est nullement parvenu à le montrer et à l’établir. Fichte n’en reste pas moins un très-grand moraliste, mais que son idéalisme transcendantal et subjectif soit un idéalisme moral, c’est ce qui n’est nullement démontré.