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que la philosophie allemande, quoique formant un tout complet et distinct, n’est pas moins partie intégrante d’un ensemble plus vaste et qu’elle-même est comprise dans le développement général de la philosophie ancienne et moderne. Il fallait bien la replacer dans son cadre. La thèse elle-même l’exigeait. — Soit. Que l’auteur ait cru devoir nous faire assister aux premiers débuts de la philosophie allemande, et pour cela remonter même au moyen âge, on n’aurait rien à y redire ; mais qu’après nous avoir tracé cette esquisse, il se croie obligé de s’engager dans la philosophie grecque pour revenir au moyen âge à Descartes et à Leibniz, à Wolf, à tout le xviiie siècle, une pareille excursion nous paraît fatigante et excessive. Il le fallait, dira-t-il, pour la thèse qui est à démontrer. Est-ce vrai ? En tout cas, une semblable introduction est ou trop courte ou trop longue. Elle est trop courte parce que l’auteur est dans l’impossibilité de motiver ses assertions. Or, rien n’est plus fâcheux pour un livre qu’un début dogmatique, surtout si ce livre est une véritable thèse. Les affirmations dénuées de preuves abondent dans les premières pages de cette introduction. Elle est trop longue au gré du lecteur non convaincu, qui n’aime pas à être ainsi promené à travers les âges, qui, à chaque pas, est tenté d’arrêter l’historien et de lui contester ce qu’il affirme. Il revient alors tout essoufflé et en somme peu satisfait de n’avoir rien recueilli pour lui d’instructif et de nouveau qui le dédommage. La thèse elle-même sous ce rapport y a-t-elle beaucoup gagné ? nous ne le croyons pas. Le dogmatisme empreint dans tout ce vaste préambule n’est bon qu’à nous indisposer pour ce qui doit venir après. Parcourons rapidement les différentes parties de ce livre.

I. Sur la première partie, les Commencements, nous ferons une objection sérieuse.

Tous les historiens de la philosophie allemande voient les vrais commencements de la philosophie allemande dans les spéculations antérieures à Kant et dans les systèmes de métaphysique comme ceux de Wolf, Leibniz, etc. ; M. Harms a-t-il raison de s’écarter de cette opinion et de mettre à la place de ces penseurs des hommes tels que Lessing, Herder et Jacobi, dont les deux premiers surtout n’ont jamais été considérés comme métaphysiciens ? Sa thèse, je le sais, le voulait ainsi, mais c’est une faible excuse. Aux yeux de tous les philosophes et des historiens sérieux de la philosophie, ce sont les métaphysiciens qui fondent une ère nouvelle, qui commencent ou qui continuent une ère philosophique. Les vrais antécédents de Kant sont des métaphysiciens, non des moralistes ou des historiens ou des écrivains qui ont joué un rôle plus ou moins important dans la littérature ou la philosophie. Sur les fondements déjà existants de la science, ils ont cru pouvoir édifier leurs doctrines ; ils n’ont jamais creusé ses fondements. On aura beau nous dire qu’ils ont introduit un point de vue nouveau, que de ce point de vue sont sorties des sciences nouvelles, qui jusque-là n’avaient pas encore paru ou étaient restées dans l’enfance, telles que la philosophie de l’histoire, l’économie politique, la philologie, etc.