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beurier. — philosophie de m. renouvier

de plus en plus les fonctions inférieures et les dirigent, et la nature change en quelque sorte de face[1]. »

Si l’associationisme anglais est une philosophie incomplète et qui mutile la nature humaine, c’est surtout par la méconnaissance de ce double conditionnement harmonique des phénomènes. L’association est bien le mode général d’exercice d’une conscience quelconque, mais il faut expliquer les fonctions de l’association ; il faut, au lieu de vouloir tirer d’un simple fait toutes les lois de l’esprit, découvrir et montrer ces lois sans lesquelles ce fait ne serait même pas possible : c’est là le rôle de la psychologie rationnelle, avec laquelle pourraient parfaitement se concilier les explications associationistes de M. Alexandre Bain et même les spéculations mécanistes dont Herbart a donné l’exemple, si l’école de l’expérience ne prétendait nier tout principe et ne tendait, de réduction en réduction, à placer les origines du moi dans la nature purement inconsciente. Il est chimérique de n’admettre aucune distinction dans les faits : l’œuvre vraiment scientifique consiste à montrer l’unité dans la variété et la variété dans l’unité, ce qui demande une méthode plus puissante que celle des Anglais et des Écossais. Ces derniers se contentent de décrire superficiellement les faits psychologiques et de les expliquer par des classifications artificielles, par des facultés conçues à la manière des causes, des substances de l’ancienne métaphysique, et qui ont d’étranges rapports de parenté avec les vertus occultes de la physique du moyen-âge. De plus la psychologie descriptive reste d’ordinaire intellectuelle, elle néglige la passion et ne sait qu’en faire, impuissante qu’elle est à s’en rendre compte. C’est là, aux yeux de M. Renouvier, une lacune des plus fâcheuses.

« Entre l’intelligence et la volonté, dit-il, la passion est comme un centre des phénomènes humains, un lien de toutes nos lois objectives, l’accomplissement de l’homme. Elle marque profondément chaque plein moment de notre existence et elle domine toutes les représentations, dans ces passages obscurs, dans ces intervalles qui séparent les pensées nettes, les actes déterminés ; car alors la conscience, enveloppant à l’état confus le passé, le présent et l’avenir, est avant tout l’instinct d’une fin à atteindre. Sans la passion, on peut dire que les éléments de la nature humaine seraient comme désunis, l’entendement glacé, la volonté indistincte et machinale ; les phénomènes, que la logique seule enchaînerait, n’affecteraient pas la conscience autrement que ces images, ces fantômes que Démocrite imaginait traversant la pensée des morts. Mais, en pré-

  1. Psychologie rationnelle, I, 350.