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beurier. — philosophie de m. renouvier

met à ce procédé d’analyse et de synthèse dont la portée, chez l’animal, ne paraît point dépasser les objets empiriques, immédiatement posés autres que lui-même[1]. »

Citons encore, à l’appui de la même thèse, la belle page suivante :

« On a dû songer souvent à comparer l’entendement de l’animal à celui de l’enfant. Mais l’enfant, dès les premiers efforts de la vie de relation, et bien avant que ses organes aient tous atteint l’état propre à leurs fonctions définitives, manifeste une spontanéité d’un ordre nouveau : certaine impulsion le porte à attacher un nom à l’objet ou à la passion qui l’affecte, et c’est la raison pour laquelle il se prête si bien à accepter et à reproduire avec conscience les signes communiqués. La plupart de ces signes ont cessé d’être naturels ; il se laisse donc conduire à des conventions, et contracte pour les accepter, de cela seul qu’il comprend et qu’il parle. L’usage des noms appellatifs suppose la représentation distincte de l’espèce, ou de ce que renferment de commun des objets qu’on oublie quelquefois être différents ; aussi l’enfant généralise-t-il beaucoup, et bientôt vaillamment et sans réserve. Dès qu’il est maître de la parole, il pense aux jugements arrêtés dans sa mémoire ; il les compare, il raisonne, et avec d’autant plus de force et de liberté qu’il a moins d’habitudes formées ; il se fait des principes, et toujours très-rigoureux ; enfin, ce n’est que peu à peu qu’il s’accoutume à voir un problème demeurer sans solution, à substituer à la vérité logique le dire convenu, au jugement le préjugé, et au raisonnement la série des opinions acquises. Un très-grand nombre d’hommes raisonnent plus et mieux à douze ans qu’à cinquante[2]. »


Ce qui caractérise essentiellement l’homme, c’est donc la conscience de la conscience, c’est la relation des relations connues comme telles, c’est la connaissance prolongée où la perception se pose elle-même objectivement, c’est la puissance qu’acquiert la représentation de se mouvoir d’une manière plus libre ou même entièrement fibre sur un théâtre plus mouvant, et qu’est-ce qui la lui donne sinon la volonté ? Ainsi tout nous ramène toujours au problème fondamental du criticisme. Toutefois, avant de l’aborder, il convient de dire comment M. Renouvier résout la question des rapports du physique et du moral. Dans la première édition de ses Essais, il avait cru non-seulement à la distinction mais à l’opposition des conditions physico-chimiques et des propriétés vitales :

  1. Psychologie rationnelle, I, 101.
  2. Psychologie rationnelle, I, 188.