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seule et même substance universelle. On retombe ainsi en pleine métaphysique panthéiste, si l’on peut se servir de cette expression tautologique, le panthéisme et la métaphysique ne faisant qu’un pour notre auteur, même et surtout lorsque la métaphysique affecte des airs de science expérimentale sous l’appellation de positivisme, d’associationnisme ou sous tout autre nom. Ajoutons que la causalité, conçue comme un ordre d’enveloppement de tous les phénomènes, supprime jusqu’à la possibilité du libre exercice de l’activité humaine. Or la science a-t-elle démontré que la liberté est incompatible avec les lois de la nature ?

Est-ce à dire que pour échapper au substantialisme, au panthéisme et au fatalisme qui sont au fond de la philosophie de M. Spencer, comme au fond de celle de Hegel et de tous les métaphysiciens dogmatiques, il faille en arriver à n’admettre qu’une diversité infinie et infiniment mouvante des phénomènes ? L’auteur des Essais, est aussi opposé à cette conception qu’à celle d’une unité primitive omni-génératrice, qu’on l’appelle force ou matière, esprit ou nature, idée ou mouvement. Entre l’unité absolue et la diversité infinie il s’arrête à la concordance fonctionnelle de tous les ordres et groupes de faits que comprend la catégorie universelle de relation. La vraie causalité n’est que correspondance et harmonie. Les phénomènes ne forment pas de simples séries sans lien aucun, ils ne se produisent pas non plus les uns par les autres, mais les uns en raison des autres, sous la dépendance des fonctions qui les groupent, les distribuent et les coordonnent. Quant à ces fonctions elles-mêmes, ce sont des lois de la nature qu’on peut constater, non expliquer, et dont l’explication, c’est-à-dire la réduction, rendrait même toute pensée impossible, puisque connaître c’est aussi bien distinguer que réunir : l’absence de toute diversité serait la ruine de la logique et de la science aussi bien que l’absence de toute harmonie.


Nous arrivons ici à la conception maîtresse du criticisme français dans sa partie positive : essayons donc de la bien comprendre. Les phénomènes vus au dehors, dans le représenté, n’offrent que des successions plus ou moins constantes, dont le pourquoi et le comment échappent à toute détermination purement empirique, c’est-à-dire portant uniquement sur la face externe des faits observés. Quand on se place à ce seul point de vue, on ne peut voir dans les lois de la nature que des séquences, des consécutions non démenties par notre expérience personnelle ou par les expériences accumulées de l’humanité. Si la causalité se réduisait à cela, pourquoi ne dirions-nous pas que la nuit est la cause du jour ? Nous ne