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évolutionniste et les mêmes et aussi fortes objections de M. Renouvier. L’école anglaise, abusée par une interprétation intempérante du principe de continuité, veut de proche en proche rattacher les manifestations les plus éclatantes de la conscience à des antécédents de plus en plus imparfaits qui, par une dégradation insensible, descendent de l’ordre physique à l’ordre vital, à l’ordre physique, enfin au seul mouvement, ce qui revient à expliquer la pensée par l’inconscient, la vie par l’absence de vie, le concret et le réel par l’abstrait et le possible, le tout par rien. Car c’est à cette conclusion dernière qu’on est conduit lorsqu’on veut à toute force faire sortir les catégories supérieures de catégories inférieures, indéfiniment fuyantes et qui vont s’évanouissant jusqu’à être moins qu’une ombre. On en arrive à vouloir que le monde existe avant la sensibilité, à ce qu’il y ait des objets avant que des objets soient représentés, alors que rien n’est convenable que par et dans la conscience. L’association, je ne dirai pas des idées, mais des je ne sais quoi qui ne sont pas encore et qui deviendront des impressions, des sensations, bien mieux, des êtres sentants et pensants, explique tout et répond à tout. Encore faudrait-il se demander comment l’association est possible sans une intelligence ou tout au moins sans une loi associatrice, et quelles senties fonctions de l’association. Qu’on renferme, par exemple, toutes les sensations ou idées dans le rapport universel de ressemblance et de contraste, quand on y ajouterait la « rétentivité » ou puissance de retenir par l’habitude, on n’en sera pas plus avancé pour savoir, et c’est là l’important, quels sont les différents genres de ressemblances totales ou partielles. Faire cette classification indispensable et impérieusement réclamée par les besoins logiques de l’esprit, ce serait précisément dresser la table des catégories dont on ne veut pas et, par là même, distinguer des facultés irréductibles dans l’être représentatif.

Il faut, d’après M. Renouvier, que la philosophie vraiment expérimentale en arrive là, car il appartient aussi à l’expérience de constater les éléments rationnels qu’elle renferme. À ce propos, après avoir longtemps discuté les thèses associationnistes de MM. Spencer et Bain, après avoir montré avec une rare vigueur qu’on ne peut rien expliquer dans l’esprit que par l’esprit lui-même et ses catégories, que sans l’esprit la sensation serait à jamais incapable de dégager d’elle-même aucune idée abstraite et générale, qu’il lui est impossible de s’élever jusqu’à la raison si la raison ne l’appelle à elle[1], l’auteur des Essais discute longuement, en lui accordant

  1. Log. gén., II, 42.