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beurier. — philosophie de m. renouvier

bres, ou subissons l’action des corps étrangers, se réduit soit à des pressions, soit à des tractions exercées et éprouvées sur des tissus plus ou moins pourvus de nerfs. Mais la sensation du toucher, suffisamment généralisée, ne rend-elle pas compte de tous les effets de liaison tactile ? Observons d’ailleurs que le sens de la « muscularité » n’aurait aucun organe spécial. L’auteur des Essais ne nie pas, toutefois, les phénomènes de sensibilité plus ou moins nette qui nous aident à percevoir, comparer, mesurer ; il ne nie pas les correspondances qui s’établissent entre des sensations et degrés de sensations, d’un côté, et des résistances opposées ou parcourues, de l’autre. Mais il réclame contre la confusion de trois choses bien distinctes selon lui : 1° les impressions sensibles du toucher interne, indéfinissables en elles-mêmes, qui ont quelque rapport avec les sentiments de peine et de plaisir, mais qui n’en ont pas plus avec des distances (non pas même avec des résistances connues comme telles) qu’avec des goûts ou des couleurs ; 2° les résistances et les distances, dont nulle représentation n’est possible qu’en impliquant la représentation de l’étendue ; 3º enfin, les Uens établis entre les premiers et les seconds termes, en partie grâce à des jugements synthétiques aprioriques unissant des idées d’étendue avec des idées de qualité et de force, en partie par l’expérience établissant l’association constante de certaines espèces de sensations avec certaines autres[1].

Admettons, soit, les sensations dites musculaires. Comment les philosophes de l’association expliquent-ils par elles l’étendue et la durée ? D’abord nous avons conscience de la continuation plus ou moins prolongée de nos mouvements, ce qui nous prépare à apprécier l’étendue plus ou moins grande de l’espace parcouru. Il n’y a là, il est vrai, qu’une consécution de sensations, qu’une série de faits successifs ; mais on a bien vite observé que les termes de certaines consécutions peuvent être connus avec une égale vivacité dans un ordre renversé, que certains états de conscience se suivent l’un et l’autre avec autant de facilité et de clarté dans une direction que dans la direction contraire : d’autres séries, au contraire, ne se déroulent jamais que dans un seul ordre. Tout donc se ramène à des états consécutifs, mais les consécutions renversables, formant une classe très-distincte, nous donnent l’idée des coexistants, et nous pouvons alors, par le parcours musculaire, distinguer les différences des objets étendus ou espace. Cette sensibilité nous met en possession de l’extension linéaire. Or, la notion distincte de la longueur renferme l’extension en toute direction : tout est ainsi expliqué.

  1. Log. gén., I, 328 et 329.