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gérard. — philosophie de voltaire

vement, en évolution, et d’où, par une recrue éternelle, émanent, tour à tour, les forces, les éléments, les êtres ; de l’autre[1], Lange, l’ancienne école psychologique de Herbart, et la nouvelle école physiologiste de Wundt, Helmholtz, Fechner, du Bois-Reymond lui-même, tous réunis en cette pensée commune que, dans la connaissance de la réalité, l’instrument, je veux dire l’esprit humain, a une part aussi importante, sinon plus, que l’objet, à savoir la matière. Toute tournée vers la nature, avec les uns, vers l’esprit, avec les autres, la science, en Allemagne, s’achemine à la solution[2] qui semble devoir être l’œuvre de l’avenir : rapprocher et réconcilier, jusqu’à les confondre, ces deux termes adverses dont le duel n’a pas cessé depuis l’origine de la philosophie, l’esprit et la nature. Si telle est vraiment la destinée, que dès à présent il est permis de prévoir, rien du passé, sans doute, n’aura été inutile. Buckle[3] a déjà reconnu ce qu’avait fait en ce sens la science du dix-huitième siècle ; il a indiqué le rôle des agents en apparence le plus obscurs. Quel a pu être le rôle de Voltaire ?

Voltaire, personne ne s’en étonnera, n’a en science aucun système : pas même celui qu’il a pris la peine d’exposer tout au long. Il n’est pas pour Descartes, ni pour Leibniz ; il n’est pas non plus pour Newton. Certes il accepte et soutient l’ « attraction, » non comme une théorie pourtant, mais comme un fait. Et sur les discussions soulevées à ce propos, il garde son jugement libre, sa pensée indépendante. La doctrine newtonienne mettait une fois de plus sur le tapis l’éternelle question du mouvement et de la force ; elle exigeait de l’esprit une attention nouvelle prêtée aux problèmes infinis de la matière. Entre le « mécanisme » cartésien qui, outre qu’il ramène tout au mouvement, suppose de plus dans le monde une même quantité de mouvement, invariable, constante, et le dynamisme de Leibniz qui, au mouvement substitue la force, à la constance du mouvement la conservation de la force : se plaçait l’explication mixte de Newton qui, tour à tour, a pu sembler favorable à l’un et à l’autre parti. Newton cependant, à la rigueur, eût plutôt penché vers les formules de Descartes, sauf qu’il répugnait à admettre, comme purement hypothétique, la constance du mouvement aussi bien que la conservation de la Force. Défiant à l’égard des hypothèses, seules les nécessités de la méthode mathématique, et certaines habitudes d’imagination, tenaces jusque dans la science, paraissaient le rapprocher

  1. Voir la dernière partie de l’ouvrage de Lange.
  2. Solution indiquée par M. Spencer, à la fin des Principes de Psychologie.
  3. Buckle. History of civilisation, les chapitres consacrés à l’exposition des sciences écossaises, au xviiie siècle. (Hutton, Leslie, Hunter, Smith.)