LA PHILOSOPHIE DE VOLTAIRE
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Voltaire est aimé en Allemagne : non pas seulement en souvenir de Frédéric II ; mais comme le représentant d’un siècle qui a été « le siècle des lumières[1] » d’un esprit qui a le plus servi peut-être la cause de la nouvelle Renaissance. À vrai dire, cette sympathie n’a pas été immédiate. C’est le nom de Rousseau, d’abord, qui a le plus fait fortune outre Rhin. Jean-Jacques et David Hume[2] : tels furent, à l’origine, les maîtres de la pensée allemande. Ils suscitèrent Kant, Hamann et Jacobi. La seconde génération, les Schlegel, Fichte, Schelling, Hegel, quoique plus indépendants à l’égard des influences étrangères, relèveraient plutôt encore de Jean-Jacques que de Voltaire. Jusqu’alors en effet, Voltaire partageait le discrédit dont étaient frappées l’exégèse frondeuse de Reimarus, et la philosophie, dite « populaire, » pour sa platitude et sa médiocrité sans doute, œuvre d’encyclopédistes un peu simples, tels que le bon Nicolaï. — La « jeune Allemagne[3] » lui rendit pouvoir et prestige : Louis Börne et Henri Heine, maîtres de critique et d’ironie, devaient naturellement se placer sous l’inspiration de ce nom qui est, à lui seul, la critique et l’ironie même. Puis vint la grande liquidation de l’école hégélienne : et lorsque à la mort du « Caliban de la pensée[4] » éclatèrent tous les dissentiments que, seul, il avait pu contenir ; dans la guerre civile qui suivit, si la droite extrême, rejetée vers une sorte
- ↑ Aufklärung. Le traducteur français de Strauss, M. Narval (E. Lesigne) écrit : vulgarisation. Je préfère « siècle des lumières »qui est l’expression même de Voltaire.
- ↑ David Hume, tel est le titre d’un curieux traité de Jacobi où est bien marquée l’influence du sceptique Écossais sur l’Allemagne.
- ↑ Das junge Deutschland, terme par lequel est désignée en Allemagne l’école littéraire philosophique et politique, qui suivit le romantisme.
- ↑ C’est l’expression que Schopenhauer applique à Hegel.