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vérité qui n’est parfois que trop vraie, lorsqu’il a écrit : « Tout savant dédaigne le sentiment vulgaire. Chacun sait bien que son système n’est pas mieux fondé que d’autres, mais il le soutient parce qu’il est à lui. Il n’y en a pas un seul qui, venant à connaître le vrai et le faux, ne préférât le mensonge qu’il a trouvé à la vérité découverte par un autre. Où est le philosophe qui pour sa gloire ne tromperait pas le genre humain ? Où est celui qui dans le secret de son cœur se propose un autre objet que de se distinguer ? Pourvu qu’il s’élève au-dessus du vulgaire, pourvu qu’il efface l’éclat de ses concurrents, que demande-t-il de plus ? L’essentiel est de penser ce autrement que les autres[1]. » Dans cette caricature qui, dans bien des cas, a un fond de ressemblance, on voit intervenir ces deux causes perturbatrices de la science : l’amour-propre et la vanité.

L’intérêt peut agir dans le même sens. Un grand nombre de savants sont en face de la nécessité matérielle ; il leur faut une place rétribuée ; et faire du bruit, au moyen de théories bonnes ou mauvaises, peut être un moyen de s’ouvrir les portes d’une université. Ainsi peuvent apparaître, en dehors des règles d’une pensée vraiment loyale, des hypothèses lucratives. Le fait paraît s’être produit quelquefois, en Allemagne, où le nombre et la concurrence des universités donnent à la réputation une valeur financière plus considérable qu’ailleurs. Il est à craindre aussi que des intérêts d’une nature positive et matérielle n’aient pas été sans influence, en Amérique, sur quelques-uns des défenseurs de l’hypothèse de la diversité essentielle et primitive des races humaines.

Dans l’enchaînement des choses humaines on voit le bien sortir du mal, ce qui ne signifie pas, pour un esprit sérieux, que le mal soit jamais un principe producteur du bien. Il est, dans l’ordre moral, un certain équilibre de vices qui permet au monde de cheminer avec une dose de vertu relativement faible. Nous avons ici un exemple de cet équilibre. L’amour-propre, la vanité, le désir du gain, altèrent la loyauté de la pensée scientifique, cela ne peut pas être contesté ; mais si l’on pouvait supprimer ces stimulants, la paresse envahirait l’intelligence, et la science, en devenant plus honnête, risquerait de demeurer relativement stationnaire. Le problème est de substituer à ces passions mauvaises une passion bonne, la passion de découvrir la vérité, et de réaliser le bien qui résulte pour l’espèce humaine de la vérité découverte. On rencontre avec bonheur chez plusieurs des fondateurs de la science un noble et saint enthousiasme de cette nature. Si cette disposition d’esprit se généralisait, nous au-

  1. Profession de foi du vicaire savoyard.