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c’est une thèse métaphysique que je n’ai pas à examiner ici, voulant demeurer sur le terrain de la logique. Il me suffit de faire observer que la thèse de la production de l’ordre spirituel par l’ordre matériel est absolument différente, au point de vue logique, de la thèse de l’identité des deux ordres que M. Dubois-Reymond signale comme une hypothèse impossible.

Il est des propositions qui, sans être contraires aux lois de la raison, sont contraires à des lois d’expérience si solidement établies qu’on les rejette sans examen. Telle serait, par exemple, la pensée d’un naturaliste qui, par une distraction étrange, voudrait expliquer certains phénomènes par les effets actuels de la gelée dans les régions tropicales. Un esprit inventif a proposé, plus ou moins sérieusement, d’utiliser le mouvement de rotation de la terre comme moyen de locomotion. Il voulait qu’on s’élevât en ballon, à une grande hauteur, au-dessus de l’action des vents. Le ballon restant immobile, dans cette atmosphère calme, il ne s’agirait plus que d’attendre le moment où la terre, en tournant, présenterait le pays où l’on descendrait. On pourrait voyager ainsi avec une rapidité qui laisserait à une bien grande distance celle des chemins de fer les plus rapides[1]. Quel est le défaut de cette invention romanesque ? Son auteur, s’il était sérieux (ce dont il est permis de douter), oubliait que l’atmosphère participe au mouvement de rotation du globe terrestre, c’est-à-dire se mettait en contradiction avec une vérité expérimentale solidement établie.

Il existe donc des hypothèses que l’on peut légitimement écarter ; mais on doit user de beaucoup de précautions, avant d’opposer à la réalité possible d’une découverte une fin de non-recevoir tirée de considérations expérimentales. Un énoncé qui contredit les lois de la raison est exclu de plein droit des cadres de la science, puisque la science n’a de valeur que celle que la raison lui donne ; mais les théories expérimentales ne doivent jamais être admises que sous bénéfice d’inventaire, et l’on oppose souvent à des faits réels une raison prétendue qui n’est autre chose que l’habitude d’esprits imbus défausses doctrines. On sait, par exemple, qu’une tradition fort ancienne, puisqu’on la rencontre déjà dans les livres de Josué, parle de pierres tombées du ciel. La présence de pierres auxquelles on attribue cette origine est un fait incontestable ; mais, pendant longtemps, les savants ont considéré leur chute du ciel comme une hypothèse impossible, et ont relégué le fait de cette chute dans le rang des superstitions populaires. En 1794, cependant, un savant italien cons-

  1. Guillemin. Le Ciel, page 132.