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fois cette position prise, il ne fut pas difficile d’étendre cette opinion des qualités secondaires aux qualités premières. Ces dernières aussi étaient des perceptions et existaient seulement dans l’être qui les percevait. Il ne restait alors de la matière qu’une inconnue hypothétique, un x — le postulat de la spéculation. Kant semblait avoir anéanti pour toujours la réalité du cosmos quand il transformait celui-ci en un groupe de formes mentales : le temps, l’espace, la causalité, la quantité, etc. Il proposa ce qu’on peut appeler une théorie de dioptrique mentale par laquelle un univers représenté devenait possible, puisque l’expérience, par ses propres lois a priori, était réduite à un groupe d’apparences produisant l’illusion d’un groupe de réalités. À la vérité il admettait que, par l’intervention de la causalité, nous sommes forcés de croire à une réalité servant de base aux apparences ; mais le fait même que cette causalité est une loi subjective démontre, disait-il, qu’elle n’est pas une vérité subjective. Ainsi le but de la conception mécanique était de débarrasser les investigations des complexités causées par les falsifications subjectives et de voir les choses telles qu’elles sont en dehors de leurs apparences ; mais ce but parut illusoire quand la psychologie eut montré que le temps, l’espace, la matière et le mouvement sont des réalités objectives seulement en tant qu’ils représentent des nécessités subjectives ; et qu’en un mot les choses sont juste ce qu’elles paraissent être, puisque les objets existent seulement pour nous dans le rapport de réalités extérieures à des sensations intérieures.

L’idéalisme a été le résultat de la méthode psychologique. Il a rendu d’immenses services en rectifiant la conception dualiste et en corrigeant la conception mécanique. Il a restauré le facteur subjectif que la conception mécanique avait éliminé. Il a mis en lumière le fait fondamental que toutes nos connaissances dérivent de la sensation et sont limitées par elle. Il a montré que l’univers représenté dans cette connaissance peut seulement être un tableau de l’ensemble des choses telles qu’elles existent par rapport à notre sensibilité. Mais de même que la conception mécanique, il s’est trompé par une analyse incomplète. Pour une théorie complète de l’univers ou de l’un de ses phénomènes, les conditions élémentaires que l’analyse a provisoirement écartées doivent être finalement restaurées. Quand la qualité est remplacée par la quantité, c’est un artifice de méthode qui en réalité ne correspond pas avec les faits. La qualité est le fait donné dans la sensation que l’analyse rapporte à des différences quantitatives, mais qui ne peut jamais être complètement résolu dans ces dernières, puisqu’il faut le présupposer d’un bout à l’autre. Une couleur, par exemple, peut être distinguée d’une autre