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E. de hartmann. — un disciple de schopenhauer

dans la réalité réparti entre des hommes, des nations, des races et des périodes historiques différents, sans cependant que les résultats en fussent perdus pour les derniers héritiers du développement humain, il se serait également abstenu de citer l’histoire de l’art comme un élément qui ne s’accorde pas avec le développement de l’idée, comme un exemple en contradiction avec l’évolutionnisme.

Nous pouvons laisser de côté la question de savoir si la production artistique approche déjà maintenant d’un épuisement absolu ou si cet épuisement doit être seulement considéré comme tel relativement aux idées de notre époque de civilisation ; mais en tout cas on donne la preuve que l’on a une notion bien faible de l’importance universelle et incontestable de l’art, au point de vue du perfectionnement de l’esprit humain, quand on croit pouvoir rejeter l’histoire de l’art à titre de « simple accessoire » en dehors de la marche progressive, en ligne droite, de la conscience universelle. La culture esthétique est un facteur essentiel de la culture intellectuelle en général et de l’élévation du niveau de l’intelligence ; elle est donc évidemment utile au but du processus universel, et cela même aux époques où une période, devenue elle-même improductive au point de vue artistique, ne s’élève et ne se perfectionne que par l’étude et la contemplation des trésors artistiques des temps passés. Plus les œuvres de ce passé sont riches et variées, plus leur influence doit devenir grande ; un Grec, qui connaissait seulement Phidias et Sophocle, avait évidemment une culture esthétique beaucoup plus restreinte que nous, qui possédons en outre Raphaël et les Flamands, Shakspeare, Schiller et Goethe, Bach, Mozart et Beethoven.

Cette seule considération suffirait déjà pour confondre la maxime favorite de Bahnsen : « tout a déjà existé » et pour démontrer le peu de fondement de son assertion, que « le niveau de perfectionnement postulé avait déjà été atteint en certains endroits, il y a des milliers d’années, de telle façon que comparée à lui la moyenne tant vantée des progrès de l’humanité à notre époque peut seulement être considérée comme un pas en arrière. » Si l’un de nous était transporté actuellement au milieu de l’époque la plus florissante de la Grèce, il ne pourrait pas vivre trois jours en présence de cette architecture sans ligne courbe, de cette musique dénuée d’harmonie, de ces drames en musique qui n’ont rien de dramatique, de ces idées artistiques exclusivement plastiques, de cette société sans femmes, de cette république fondée sur l’esclavage et de cette démagogie repoussante. Il regretterait bien vite et amèrement notre existence bien plus variée, plus humaine et plus régulière. Sans doute la vie des citoyens libres du sexe masculin était