Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, III.djvu/349

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
339
beurier. — philosophie de m. renouvier

de simples conventions en essences absolues, ce qui conduit à admettre des quantités qui ne sont pas des nombres, et des rapports incommensurables, c’est-à-dire des rapports de termes qui sont sans rapport.

Il y a donc contradiction à supposer mathématiquement un infini donné comme tel, puisqu’il n’est et ne peut être autre chose qu’un nombre sans nombre, un néant de nombre. Mais la vérité mathématique n’est-elle pas en même temps une vérité de logique universelle dont les lois mêmes de la pensée imposent la reconnaissance dans tout ordre de spéculation ? On voit cependant des esprits éminents, Leibniz lui-même, répudier, comme géomètres ou algébristes, le nombre infini, et admettre, comme physiciens ou métaphysiciens, un sujet matériel réellement divisible à l’infini ou au moins composé d’une infinité actuelle d’éléments, sous prétexte que « l’agrégat infini n’est ni un tout, ni une grandeur, ni un nombre. » M. Renouvier ne peut comprendre cette distinction qui, à ses yeux, oppose la vérité à elle-même. Tout ce qui est représenté comme réel, ou en d’autres termes tout ce qui est donné, est donné comme faisant partie de l’ensemble des réalités passées ou présentes, et cet ensemble est tel que l’ont fait les parties dont il se compose. Il est donc forcément un nombre, un nombre indéterminable pour nous, c’est possible, mais, on ne saurait le nier, un nombre déterminé en soi et pour soi. Ainsi nous ne pouvons former la synthèse numérique des phénomènes écoulés ou actuels que nous réunissons sous le nom d’univers ; toutefois l’univers, dont l’avenir est indéfini, est composé depuis sa plus extrême limite dans le passé jusqu’aujourd’hui, de faits en nombre déterminé, et la preuve, c’est qu’on conçoit fort bien que ces faits auraient pu être plus ou moins nombreux que ce qu’ils ont été : ils sont ce qu’ils sont, et il n’y a pas à s’en demander la raison : cela reviendrait à se demander « pourquoi le monde ? » Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’ils ont été ou qu’ils se produisent, ce qui les soumet à la loi de quantité ; or ils ne peuvent s’y soumettre qu’à la condition qu’on leur assigne un premier commencement, du reste, aussi reculé que l’on voudra. La régression à l’infini est chimère, parce que son vrai nom est contradiction. Au contraire, il n’est pas contradictoire de reculer infiniment la limite dans l’avenir, parce qu’il s’agit ici non plus de phénomènes donnés, mais de phénomènes possibles et que le nombre ne peut pas s’appliquer à ce qui n’est pas encore ; l’avenir ne sera « nombrable » que quand il sera et dans la mesure où il sera devenu réel. De là cette conclusion, que si l’existence d’une cause éternelle est inintelligible et absurde, l’immortalité de l’âme humaine, ou de ce qu’on est convenu d’appeler