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qu’il n’en veuille guère convenir, il a prêté le flanc plus d’une fois. Sa polémique ne perdrait rien à être plus courtoise vis-à-vis de certaines personnes : lorsque M. Renouvier se trouve en face de ceux qu’il appelle dédaigneusement « les philosophes à diplômes, les professeurs de philosophie, » il semble perdre une partie de son sang-froid : il ne leur refuse pas seulement l’esprit logique, l’aptitude scientifique, l’originalité philosophique, il va jusqu’à leur dénier l’indépendance et les convictions personnelles, et au besoin même il invoquera contre eux, après les avoir renvoyés à l’école, le pamphlet, depuis longtemps oublié, de M. Ferrari sur les « philosophes salariés[1]. » Ces termes méprisants n’ont rien de philosophique. « Les coups de boutoir » ne sont pas plus des raisons chez M. Renouvier que chez Proudhon, les arguments ad hominem n’ayant jamais été des arguments ad philosophiam.

Du reste M. Renouvier discute rarement les théories spiritualistes qui se rattachent de près ou de loin à l’éclectisme et en général il ne prête guère son attention aux philosophes français du {xixe siècle, si ce n’est à Auguste Comte dont il combat le positivisme avec énergie, tout en adoptant, avec lui, le principe de la relativité de la connaissance. Il est beaucoup plus accommodant pour M. Taine, dont le livre sur l’Intelligence lui paraît des plus remarquables à cause de l’importance qui y est donnée à l’abstraction. Parmi les spiritualistes il ne cite avec éloges que Maine de Biran, pour avoir entrevu le problème de la volonté ; M. Vacherot, pour son essai d’établissement d’une table des catégories dans la Métaphysique et la science, et enfin M. Ravaisson, pour sa forte et profonde analyse des lois de l’habitude. « Le livre de M. Vacherot, dit-il, est le seul vrai livre de philosophie qui soit sorti de l’école éclectique : je dis de philosophie, c’est-à-dire indépendante, car il n’en est pas d’autre sérieuse. On sait que M. Vacherot ne l’a écrit qu’après avoir été affranchi du professorat — par destitution — et avant d’entrer à l’Académie dite des sciences morales[2]. » Quant à M. Ravaisson, sa thèse sur l’habitude surpasse en profondeur tout ce que M. Renouvier connaît de philosophie contemporaine en France. Il est vrai que l’éloge est aussitôt suivi de cette réserve : « Pourquoi faut-il que le substantialisme entache des conclusions qui seraient si nettes dans un autre langage et défigure de si fortes analyses[3] ? »

La substance, l’absolu, les causes premières en tout genre sont en effet les « idoles » que l’auteur des Essais de critique générale s’est

  1. Critique philosophique du 15 juillet 1876.
  2. Logique générale, III. 86.
  3. Psychologie rationnelle, I, 291.