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bien vite abandonné cette pensée. Là où il aurait dû lui donner son expression complète et définitive, dans la doctrine des catégories, il fonde, comme on sait, sa déduction sur une alternative. Il n’y a, dit-il, que deux manières d’expliquer l’accord des catégories et de l’expérience : « ou l’expérience fait les premières, ou les premières font l’expérience. » La première hypothèse n’étant pas acceptable, il faut admettre nécessairement la seconde. Mais, comme Trendelenburg l’a longuement démontré, il y a une troisième possibilité d’explication, que Kant néglige et qui est pourtant la vraie. Pourquoi ne pas admettre « que sans doute les objets résultent de l’application des formes à priori de la pensée à la matière des sensations, mais que l’accord des objets ainsi construits avec les choses en soi, auxquelles l’intuition doit les sensations qu’elle coordonne, en d’autres termes, que la vérité des objets pensés, par rapport à leurs formes synthétiques, vient uniquement de ce que les choses en soi existent dans les mêmes formes logiques, sous les quelles les objets sont pensés. » S’il était vrai, comme Kant l’affirme, que l’entendement applique les formes logiques aux données de l’intuition avec une entière spontanéité, il serait tout à fait le maître de décider à son gré de la nature et du nombre des formes à priori qu’une intuition quelconque doit revêtir. Or, Kant lui-même reconnaît que l’entendement ne choisit pas, mais se sent contraint d’appliquer les unes ou les autres.

VII. l’extension et la durée comme formes de la chose en soi. Nous avons vu plus haut que la durée est une détermination de la chose en soi comme des phénomènes : peut-on on dire autant de l’extension ? La sensation n’est pas primitivement étendue : elle n’a par elle-même que la qualité et l’intensité. C’est l’âme qui ajoute l’extension à la sensation, comme les catégories à l’intuition. Sans doute, la sensation doit posséder déjà, dans ses déterminations qualitatives et intensives, certains caractères, qui provoquent nécessairement l’âme à l’enrichir d’une détermination extensive, à la revêtir de telle forme plutôt que de telle autre. Mais il reste toujours vrai que la sensation ne possède par elle-même que des caractères tout différents de l’extension. Nous ne pouvons donc conclure directement de la sensation à l’extension de la chose en soi, dont elle est le produit. Mais nous avons d’autres raisons de soutenir que la chose en soi participe aussi bien à l’étendue qu’à la durée. La multiplicité des choses en soi n’est possible qu’autant qu’elles sont distinctes dans l’espace comme dans la durée. Le mouvement, qui est une des propriétés essentielles reconnues par la physique dans les choses en soi et d’où elle fait même sortir toutes les autres, le mouvement suppose que la chose en soi se meut dans une grandeur continue, dans un analogue de l’espace subjectif. La géométrie imaginaire avec ses hypothèses, ou l’espace à 4, 5, etc., dimensions, a bien semblé encourager l’hypothèse d’une distinction radicale entre l’espace réel ou absolu, et l’espace subjectif ou relatif. Mais l’espace à trois dimensions paraît suffire jusqu’à présent aux nécessités