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causalité transcendante. Nous avons donc pour chaque phénomène deux causes suffisantes au lieu d’une seule, l’une agissant dans la conscience, l’autre en dehors ; l’une formant une série continue d’antécédents et de conséquents, l’autre étrangère à toute succession. Il n’y a qu’une harmonie préétablie qui puisse expliquer leur accord : et comment parler de la liberté de la cause transcendante, puisqu’on peut prévoir sûrement les effets de son activité par l’examen des effets réalisés déjà par la causalité immanente ? c’est ainsi qu’on lit sur une horloge découverte l’heure marquée par une horloge voilée, lorsqu’on sait que toutes deux vont à l’unisson. Il ne peut donc plus être question de la liberté pour distinguer la causalité transcendante de la causalité immanente. Mais Kant n’hésite pas à soutenir que la causalité transcendante se distingue encore de l’autre, en ce qu’elle est en dehors du temps. Comme si le concept de causalité n’impliquait pas celui de succession ! Et comment d’ailleurs établir autrement un rapport entre les actes de cette causalité transcendante et ses effets déterminés dans le temps, si les premiers n’ont absolument aucun rapport avec la durée ! — Si cette causalité se déroule dans le temps, il est encore moins aisé qu’auparavant de comprendre l’harmonie préétablie qui identifie ses effets à ceux de la causalité immanente ? Nous ne pouvons nous résigner à de telles obscurités, et nous voulons pourtant garder la causalité transcendante. Voyons si nous ne ferions pas bien de renoncer à la causalité immanente.

On sait que Schopenhauer dans « la quadruple racine du principe de raison suffisante » a soumis à sa critique pénétrante et victorieuse la doctrine des catégories sur la causalité. M. de Hartmann reproduit les mêmes arguments, en les enrichissant de quelques autres. — Remarquons d’abord que dans la succession purement immanente des phénomènes, il ne peut être question de distinguer entre le subjectif et l’objectif : tout est en réalité subjectif. — Kant confond la succession involontaire des représentations avec l’ordre de leur génération. Combien de perceptions pourtant se succèdent dans notre conscience, indépendamment de notre volonté, sans que nous nous croyions le droit de regarder les premières comme la cause de celles qui les suivent ! De combien de perceptions n’avouons-pas que nous ignorons les causes, ou ne réussissons-nous à les découvrir qu’après de longs raisonnements, beaucoup plus tard que l’effet lui-même ne s’est manifesté à nous ? On ne saurait identifier d’ailleurs la série des perceptions et l’association des idées, et prétendre que les lois de la seconde peuvent servir à étendre l’empire que la loi de la causalité exerce sur les premières. Comment encore, si l’on ne fait pas dériver la succession de nos perceptions de la causalité transcendante des’choses en soi, rendre compte du désordre des représentations de la pensée endormie ? Pourquoi la causalité immanente serait-elle ici sans effet ? Enfin la physique, sous le nom de causes, étudie non pas les impressions subjectives, mais les changements des choses eu soi. — M. de Hartmann prend à son tour Schopen-