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bouillier. — de la règle des mœurs.

Peut-être quelqu’un nous accusera-t-il d’avoir en tout ceci suivi les traces suspectes de Proudhon, non moins que celles des Stoïciens. Il est vrai que Proudhon, qui en général a été beaucoup mieux inspiré en fait de morale qu’en fait de politique et d’économie politique, a soutenu non sans force et sans éloquence, principalement dans son ouvrage de la Justice et de la révolution dans l’Église, ce grand principe de la dignité et de l’excellence de la nature humaine. Quoique notre méthode ne soit pas la même, nous ne faisons aucune difficulté de reconnaître qu’il y a entre lui et nous des points de ressemblance, comme avec bien d’autres philosophes et même, nous l’avons vu, avec des pères de l’Église. Mais nous avons hâte d’ajouter que, à côté des ressemblances, il y a aussi des différences considérables. D’abord nous n’avons pas, comme lui, l’orgueilleuse et ignorante naïveté de croire que nous avons imaginé un principe nouveau, inconnu avant nous, dans l’histoire de la philosophie.

Mais, ce qui importe plus, nous nous séparons surtout de cet auteur amoureux de sophismes et de paradoxes, dans la guerre insensée qu’il déclare à Dieu et dans ce délire de théophobie que nul athée peut-être n’a jamais poussé si loin. Nulle part nous ne voyons ce bizarre antagonisme qu’il lui plaît d’imaginer entre Dieu et la conscience comme entre le mal et le bien.

Si Dieu n’est pas pour nous le principe immédiat du bien au regard de l’homme, il en demeure toujours le principe suprême et la raison dernière. Pour ne pas déduire directement la morale du bien absolu et de l’ordre universel, nous n’avons garde, nous le répétons, de chasser Dieu, comme le fait Proudhon, ni de bannir les considérations religieuses dont l’efficacité est si grande sur la plupart des âmes. Si la nature de l’homme doit être à la base de la morale, ce n’est pas à dire, ne craignons pas de le répéter, qu’au faîte on ne trouve Dieu. Comment ne pas le trouver, en allant de cette nature humaine, sur laquelle nous fondons immédiatement la morale humaine, à l’auteur même et à la cause première de cette nature ? Quelqu’un a-t-il donc prouvé la fausseté de cet adage de l’École : natura est lex a Deo insita ? Notre bien particulier, l’ordre que nous devons établir en nous, ne font-ils pas nécessairement partie du bien et de l’ordre universels ? Rien ne nous oblige, avons-nous dit, si ce n’est ce qui est humain ; mais l’humain tient au divin, pour quiconque veut remonter au principe des choses. Dieu, si l’on veut, parle à l’homme, mais il lui parle par l’homme même, par sa nature, par l’intermédiaire de notre conscience morale. Selon nous, la morale est humaine ; mais cela ne veut pas dire qu’elle soit athée.

Fondée sur ce roc la morale est vraiment indépendante dans le