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tain nombre de critiques[1], le grave reproche d’avoir amnistié tous nos penchants et d’aboutir à une sorte de fouriérisme, après avoir si bien combattu la morale de l’intérêt et de la passion. Il est vrai que, pour échapper, à ce qu’il semble, à cette conséquence, Jouffroy a modifié cette première forme de son système moral, en assignant à l’homme la formation de la personnalité pour fin définitive, au lieu de la satisfaction de toutes nos tendances. Mais on ne voit pas bien comment cette modification s’accorde avec ses prémisses et d’ailleurs elle prête elle-même à d’autres critiques.

Que faut-il donc entendre par cette nature de l’homme dans laquelle consiste la forme même du bien et d’où nous prétendons déduire l’unique et immuable règle de tout ce que l’homme doit faire ou ne doit pas faire ? Si tout ce qui est dans l’homme n’entre pas dans sa nature propre et ne l’oblige pas, comment faire un triage parmi les divers éléments qui le constituent ? De quel critérium faudra-t-il se servir pour conserver les uns, pour éliminer les autres ? Comment établir une hiérarchie et des rangs, là où Jouffroy a eu le tort de paraître se contenter de faire une somme et une addition ? Il nous semble qu’il y a un signe bien simple et bien clair auquel il nous sera donné de reconnaître ce qui doit être mis de côté et ce qui doit en être maintenu.

Par l’ensemble des éléments qu’il embrasse et qui le constituent, l’homme, comme on l’a dit bien souvent, est un abrégé du monde entier, un microcosme. Distinguons ce qui, dans ce microcosme, est en commun avec les autres êtres, avec les êtres inférieurs de la nature, de ce qui lui est propre, de ce qui n’appartient qu’à lui seul, et nous aurons trouvé la règle d’excellence ou de perfection que nous cherchons, par l’analyse psychologique toute seule, par la comparaison de l’homme avec ce qui n’est pas lui, sans faire intervenir aucun principe à priori, aucune lumière surnaturelle, sans nous exposer, de la part des plus ombrageux, au moindre soupçon de mysticisme. Nous aurons ainsi un idéal, mais un idéal qui ne se perd pas dans les nuages, puisqu’il est en nous-mêmes, pas plus qu’il n’est un concept vide de l’entendement, puisqu’il a pour contenu l’essence même de notre nature, telle que nous venons de la déterminer. Cet idéal est la perfection humaine, que l’homme doit travailler à réaliser en lui. Kant et d’autres moralistes, nous le savons, ont reproché à cette notion de la perfection, non pas de ne pas contenir en elle le véritable but, mais d’être vague et confuse, de telle sorte qu’elle ne peut

  1. Jules Simon, le Devoir, chapitre sur la formule de la justice.

    Ferraz, Philosophie du devoir, chap. 3, appréciation de la doctrine de Jouffroy.