Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, III.djvu/27

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
17
E. de hartmann. — un disciple de schopenhauer

L’objection de l’individualisme contre le monisme : que le développement tend d’une manière assez visible vers une indépendance toujours plus grande de l’individuel, est désarmée d’avance dans ma doctrine, d’après l’observation de Bahnsen lui-même, parce que l’individuation est à mes yeux le moyen de fortifier la conscience, et que celle-ci à son tour est le moyen de triompher de l’illogique par le logique. En fait, l’indépendance progressive de l’individuel (depuis la monère en passant par le singe et l’orang-outang jusqu’à Gœthe), s’accorde non-seulement avec un système individualiste mais encore avec un système moniste, car elle montre que les degrés de plus en plus élevés de l’individualité sont les résultats d’un processus unique. Ils ne peuvent donc pas être regardés comme un élément primordial du monde à son commencement, mais comme des phénomènes qui sont des conséquences. Il n’y a rien de changé à l’état de la question, si Bahnsen nie le but que j’assigne au processus universel ou s’il conteste que cette marche vers l’indépendance de la vie individuelle soit un moyen approprié à ce but ; car ici il s’agit simplement de l’explication d’un fait d’expérience tout à fait indépendant de l’opinion que l’on peut avoir sur le but du processus universel.

Mais remarquons en passant que l’objection de Bahnsen contre la finalité de l’individuation comme moyen d’arriver au but indiqué par moi, « ne repose sur aucun fondement. En effet, il prétend que plus la lumière de la conscience arrivée au zénith de sa splendeur historique universelle dessine avec netteté les contours des fleurs de la vie, plus sûrs et plus rapides sont le déclin et l’anéantissement de la puissance germinative sous l’éclat de cette lumière trop vive, tandis que la fraîcheur d’une demi-conscience, douce comme un clair de lune, conserve les peuples réservés pour l’avenir. » Le fait soutenu ici doit être contesté résolument. Nous savons que les périodes civilisatrices et que les nationalités vont jusqu’à leur terme, et se survivent, mais nous ne savons pas si les races et les tribus arrivées à la civilisation historique auront cessé d’exister avant la fin de l’humanité. Au contraire on peut admettre que les nations, qui seront les supports de la civilisation de l’avenir, sortiront de la race indo-germanique, c’est-à-dire de nations existant actuellement. Il est vrai que la puissance germinative non-seulement de l’individu, mais encore de la famille ou de la race, s’affaiblit par une application trop grande du cerveau, c’est-à-dire par une activité dépassant le degré de développement de cet organe, et que parmi les peuples qui marchent à la tête de la civilisation, les minorités qui travaillent à l’avancement de cette civilisation meurent et doivent