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nous fournit des sensations qu’on ne peut caractériser ni comme intensives ni comme extensives.

La loi de Weber, dit pour conclure M. Hering, n’est qu’une hypothèse très-incertaine ; la proportionnalité requise ne se manifeste que pour les grandeurs extensives de l’espace et la force des sons ; les exceptions étant plus nombreuses que la règle, celle-ci est à rejeter si l’on ne montre pas le pourquoi des déviations, et c’est ce qu’on n’a pas fait ; cette loi, fût-elle vraie, ne servirait pas à établir la loi logarithmique de Fechner ; mais, comme elle est fausse, celle-ci manque totalement de base et de soutien, et avec elle tombe le principe psychologique sur lequel Fechner s’appuie pour scruter les rapports de l’âme et du corps.

Voilà résumé fidèlement le contenu de la brochure de M. Hering. Dans le cours de cet exposé, j’ai dû rarement élever quelque doute sur la rectitude de l’argumentation de l’auteur, et parfois j’ai cru même devoir renforcer ses objections. Je l’avoue cependant, je tiens à la loi de Fechner interprétée d’une certaine façon, mais si les faits d’expérience viennent la renverser, je serai le premier à en faire mon deuil, persuadé que la vérité est plus aisée à comprendre que l’erreur, et que l’acceptation de nombres ou de formules inexactes, nous jetterait plus tard dans des difficultés inextricables. Dans un ouvrage paru récemment, et où je faisais l’exposé des résultats principaux de la psychophysique et de l’avenir qui lui était réservé, je concluais ainsi : « On ne doit pas cependant se le dissimuler. Les résultats auxquels nous sommes parvenu ne sont pas démontrés comme les vérités mathématiques ou certaines lois physiques. Il faudrait pour cela que les méthodes suivies fussent de tout point irréprochables, que les expériences sur lesquelles on se hase ne fussent point susceptibles d’une autre interprétation, que les faits recueillis dans les sciences naturelles ne fussent pas mélangés d’erreurs. Mais ces méthodes, ces expériences, ces observations présentent quelque chose de saisissable à l’esprit ; elles ont des caractères précis et positifs, et l’on ne peut avoir la prétention de les renverser ou de les contredire par un simple raisonnement métaphysique[1]. » En effet, quoi qu’il en doive advenir de la loi de Fechner et des nombreuses expériences sur lesquelles il l’a fondée, rien de tout cet immense échafaudage de matériaux ne dût-il rester qui puisse même servir à la science future, le nom de ce penseur illustre vivra à côté de ceux de tous les grands réformateurs, des Socrate, des Bacon, des Descartes, des Kant.

  1. La Psychologie comme science naturelle, son présent et son avenir (Paris, Germer Baillière ; Bruxelles, Muquardt), p. 107.