Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, III.djvu/232

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
222
revue philosophique

taine mesure réductible à un gaz ; un univers fini, existant depuis une durée illimitée, au milieu d’un espace infini, aurait atteint déjà le maximum de diffusion ; physiquement, un tel résultat équivaudrait à une complète disparition de la nature. »

Pour échapper à ces conséquences, Zoellner a très-ingénieusement appelé à son aide les hypothèses de la géométrie transcendentale. « L’habileté de son explication consiste à présenter l’espace et la masse comme finis et pourtant comme illimités, de manière à satisfaire à la fois notre entendement qui se refuse à prêter des bornes à l’étendue de l’univers, et la physique, qui s’oppose à une telle supposition. » Il s’agit de changer nos conceptions sur les propriétés de l’espace. Or cela n’a rien de contradictoire, puisque notre intuition de l’espace est d’origine empirique. Notre hypothèse de l’espace avec ses trois dimensions est due, selon Zoellner, à des raisonnements inconscients de l’esprit travaillant sur les données des perceptions sensibles, que nous fournissent soit nos sens, soit les instruments d’optique. « Si des faits physiques nouveaux obligeaient d’admettre que cette hypothèse ne vaut plus pour de grandes distances, qui dépassent la portée de nos sens et de nos télescopes, nous serions parfaitement en droit de la remplacer par une autre. » Zoellner, après Riemann, conçoit donc l’espace comme sphérique. « Dans un tel espace, la ligne la plus simple serait, non la ligne droite, mais le cercle. Un corps animé d’un mouvement uniforme dans un tel espace pourrait se mouvoir sans fin, et cependant décrire une course limitée, puisqu’il se retrouverait toujours, après un temps aussi long qu’on le voudrait, ramené à son point de départ. » — Cette hypothèse conduirait inévitablement à celle d’un cours circulaire du temps. Mais si la première offre de sérieuses difficultes, la seconde ne contredirait pas moins les lois de la pensée et de l’expérience. « Si le temps revient sur lui-même, le cours des événements se déroule entre des états qui se répètent dans une éternelle uniformité. Il n’y a plus de progrès réel dans le monde… L’état présent s’est produit il y a très-longtemps avec les mêmes caractères et se reproduira le même au bout d’une durée semblable. Ce ne serait pas à coup sûr une pensée fortifiante et consolante, que celle qui nierait la réalité de tout progrès, et ne nous laisserait que l’impression d’un ennui sans bornes. » Wundt observe d’ailleurs en terminant que toutes ces spéculations des partisans de la géométrie imaginaire ont heureusement profité à notre analyse philosophique des concepts de l’espace et du temps.

3. L’hypothèse de la double infinité.

Nous n’avons plus qu’à examiner l’hypothèse qui veut concilier avec l’infinité de l’étendue et de la durée du monde, la quantité limitée de matière qui en constitue la masse. Remarquons d’abord que cette dernière supposition ne viole aucune loi de la pensée ; il en était autrement de celles d’une étendue ou d’une durée limitée de l’univers. Si vous supposez le temps et l’espace finis, vous soulevez aussitôt cette ques-