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g. compayré. — les principes de l’éducation.

comme il suffit de presser le doigt sur la détente d’une arme chargée pour que le coup parte. On a souvent comparé l’éducation à la sculpture : le but de l’éducation serait de sculpter les âmes humaines selon un modèle accompli. Le tort de cette comparaison est d’oublier que l’âme n’est pas une matière inerte qui se laisse façonner comme on l’entend, qui obéisse passivement à tout ce qu’on entreprend sur elle : loin de là, elle réagit sans cesse, elle mêle son action propre à celle du maître qui l’instruit. L’éducateur a toujours un collaborateur, qui n’est autre que l’enfant qu’il veut former : collaborateur précieux le plus souvent, parce qu’il conspire de son côté à atteindre le but où on le conduit, mais quelquefois aussi mal avisé et gênant parce que, par ses démarches personnelles, par ses caprices, il déconcerte et il trouble le travail du maître.

Nous n’avons pas à nous arrêter sur le chapitre consacré par M. Spencer à l’éducation physique. Il est tel qu’on pouvait l’attendre d’un Anglais, d’un penseur tout à fait exempt de préjugés idéalistes et qui n’hésite pas à écrire : « L’histoire prouve que les races les plus énergiques et qui ont dominé les autres ont été les races les mieux nourries. » Ici comme partout, M. Spencer demande qu’on suive les indications de la nature : il explique par des raisons physiologiques le goût en apparence désordonné que les enfants témoignent pour certains aliments, le sucre par exemple ; enfin il réclame avec insistance que la préférence soit donnée sur la gymnastique au jeu et à l’exercice libre et spontané.

S’il suffisait de définir exactement le but pour l’atteindre, et si la découverte de la vraie méthode équivalait à la constitution de la science, le livre de M. Spencer serait un livre définitif. Mais autre chose est comprendre que la psychologie est le seul principe solide d’une pédagogie philosophique, autre chose pouvoir dans la nature humaine résoudre tous les problèmes, éclaircir tous les points obscurs, et par suite être en état de combler toutes les lacunes, de rectifier toutes les erreurs des systèmes d’éducation. Aussi M. Spencer ne présente-t-il modestement son ouvrage que comme un essai, ne se faisant illusion ni sur la portée d’une théorie parfaite d’éducation, à supposer qu’elle fût trouvée, ni sur la possibilité d’arriver encore à cette théorie idéale et accomplie. Combien de causes en effet qui viennent se mêler et agir concurremment pour produire cet effet unique : la personne humaine ! Le milieu, la religion, l’état social, la famille, autant d’agents qui limitent l’action des meilleures méthodes et des meilleurs maîtres. Mais surtout, dans la nature humaine elle-même, que de difficultés ! que d’entraves opposées aux efforts tentés par la pédagogie pour s’organiser ! Les particularités