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volonté, parce qu’autrement il surgirait une contradiction. Si la contradiction n’était pas chose impossible, la possibilité d’une opposition cesserait, puisque les deux sujets en lutte arriveraient à la réalisation de leur volonté. Par conséquent si la dialectique réelle était anti logique, la possibilité d’une dialectique réelle cesserait d’exister puisque la résistance faite l’une à l’autre par des tendances opposées découle uniquement de l’impossibilité de la contradiction. Ainsi le monde réel comme antagonisme des forces est seulement possible s’il est basé sur le fondement logique (sur l’impossibilité de l’existence simultanée de ce qui se contredit dans un seul être), et si Bahnsen trouve ce fondement « entièrement realdialectique » il a placé au même niveau le logique et le realdialectique, et il est obligé en conséquence de renoncer à ses velléités antilogiques.

Enfin, si Bahnsen voulait soulever l’objection que, dans l’opposition des désirs d’une âme, un seul sujet est le support de déterminations contraires entre elles, j’aurais à faire observer que l’expression « sujet » n’a pas été employée par moi dans le sens métaphysique, mais dans le sens grammatical (où en effet les désirs sont les sujets auxquels on attribue les déterminations opposées). D’ailleurs une opinion divergente sur cette question ne changerait rien au résultat. En effet, si l’on pose l’âme ou l’individu psychique ou même l’Être un et universel comme sujet des déterminations opposées, l’opposition ne produit pas encore pour cela une contradiction, parce que la condition de la définition de la contradiction n’est pas remplie. Celle-ci implique, comme nous l’avons dit, que les contraires appartiennent en même temps et sous le même rapport à un seul et même sujet. Il n’y a pas de contradiction dans le fait que l’index de ma main droite ait une tache d’encre à l’endroit où il n’y en a pas à ma main gauche ; de même il n’y a pas de contradiction à ce qu’un des ressorts de mon caractère tende à se satisfaire par une action qui est détestée par un autre de mes instincts.

Ces explications pourraient suffire à montrer pourquoi c’est une entreprise vaine de vouloir prouver un désaccord fondamental entre les lois de notre pensée et les lois primitives des faits qui se passent dans la réalité. S’il existait réellement un pareil désaccord, la formation des lois logiques de la pensée serait inexplicable. Car ce qui est complètement irrationnel est en même temps complètement en dehors des lois et laisse le champ libre à tout non-sens, comme à ce qui est accidentellement sensé ; même une certaine harmonie préétablie entre le cours extérieur du monde et la production forcée de la pensée intérieure ne serait pas exclue du point de vue de la domination du non-sens, mais cette harmonie ne pourrait avoir évidem-