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h. taine. — les vibrations cérébrales et la pensée

courant électrique. — Il a fallu faire l’acoustique pour montrer que l’événement qui éveille en nous, par nos nerfs tactiles, les sensations de vibration et de chatouillement est le même qui, par nos nerfs acoustiques, éveille en nous les sensations de son. Récemment encore[1] « les phénomènes de chaleur, d’électricité, de lumière, assez mal définis en eux-mêmes, étaient produits par autant d’agents propres de fluides doués d’actions spéciales. Un examen plus approfondi a permis de reconnaître que cette conception de différents agents spécifiques hétérogènes n’a au fond qu’une seule et unique raison, c’est que la perception de ces divers ordres de phénomènes s’opère en général par des organes différents et qu’en s’adressant plus particulièrement à chacun de nos sens, ils excitent nécessairement des sensations spéciales. L’hétérogénéité apparente serait moins alors dans la nature même de l’agent physique que dans les fonctions de l’instrument physiologique qui forme les sensations, de sorte qu’en transportant, par une fausse attribution, les dissemblance de l’effet à la cause, on aurait en réalité classé les phénomènes médiateurs par lesquels nous avons conscience des modifications de la matière, plutôt que l’essence même de ces modifications… Tous les phénomènes physiques, quelle que soit leur nature, semblent n’être au fond que les manifestations d’un seul et même agent primordial. » Ainsi, la conception que nous formons, porte toujours l’empreinte profonde du procédé qui la forme. Nous sommes donc obligés de tenir compte de cette empreinte ; partant, sitôt que nous trouverons en nous deux idées entrées par des voies différentes, nous devrons nous défier de la tendance qui nous porte à poser une différence, surtout une différence absolue, entre leurs objets.

Or, lorsque nous examinons de près l’idée d’une sensation, et l’idée d’un mouvement moléculaire des centres nerveux, nous trouvons qu’elles entrent en nous par des voies, non-seulement différentes, mais contraires. — Le première vient du dedans, sans intermédiaire ; la seconde vient du dehors, par plusieurs intermédiaires. — Se représenter une sensation, c’est avoir présente l’image de cette sensation, c’est-à-dire cette sensation elle-même directement répétée et spontanément renaissante. Se représenter un mouvement moléculaire des centres nerveux, c’est avoir présentes les images des sensations tactiles, visuelles, et autres, qu’il éveillerait en nous si, du dehors, il agissait sur nos sens, c’est-à-dire imaginer des sensations de blanc, de gris, de consistance mollasse, de forme cellu-

  1. M. de Sénarmont. Cours professé à l’école polytechnique, cité par Saigey, La Physique moderne, p. 216.