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Ch. lévêque. — françois bacon métaphysicien.

La nouveauté que Bacon introduit par cette déclaration dans les anciens cadres de la philosophie, veut être discutée. Notons d’abord que l’ennemi juré de la métaphysique aristotélique commence par lui emprunter purement et simplement les quatre principes qui sont le fond même du péripatétisme originel. L’innovation est-elle là ? Pas du moins au premier aspect. Elle consiste bien plutôt à prendre deux de ces principes et à les distraire de la métaphysique pour les faire entrer dans les limites de la physique. Ce déplacement est-il légitime ? Sans doute, si les deux causes que Bacon nomme l’efficient et la matière sont saisies non par la faculté métaphysique ou raison, mais bien par la méthode de la science physique, par l’expérience. Cela, Bacon ne pouvait le soutenir, et, en fait, il n’est pas coupable de l’avoir soutenu. Il ne s’est même pas préoccupé dans ce cas de la question de méthode ; il n’a fondé sa division que sur la différence de nature qui distingue, d’après lui, l’efficient et la matière d’une part, de l’intention et de l’idée, de l’autre ; sur ce point, il s’est contenté de noter que la physique théorique est « très-voisine de la métaphysique. » Mais puisqu’il n’a considéré dans les causes qu’il énumère que la différence de nature, ne parlons que de celle-là et voyons si elle est aussi profonde que l’a pensé Bacon.

Dans plusieurs passages il a l’air d’entendre par le mot efficient la cause seconde, et par la cause seconde, le mouvement. C’est à ce point de vue qu’il se place toutes les fois que, comme Aristote, il définit la physique, la science des choses variables et mouvantes. S’il s’exprimait toujours de cette façon, et si, en prononçant le mot efficient, il avait toujours égard à la surface mobile des êtres, il serait vraiment l’ancêtre de cette école contemporaine qui réduit la chaîne des existences et des phénomènes de chaque existence à des successions de mouvements ; il serait la voix, et Hume ne serait que l’écho. Ce serait de lui et non de Hume que les expérimentalistes absolus descendraient en ligne directe. Mais par moments sa pensée, sans aller jusqu’au fond de l’idée d’efficience, pénètre cependant fort au-delà du mouvement.

En effet, il divise la physique abstraite en doctrines sur les modifications de la matière et doctrines sur les appétits et mouvements de la matière. Ce mot appétits est à remarquer. Que l’on ne dise pas que ce n’est là qu’une métaphore : à négliger tout ce qui, dans Bacon, a la forme métaphorique, on ne laisserait presque rien subsister de sa philosophie. Que l’on n’insinue pas non plus que ce terme n’est qu’une réminiscence accidentelle de la phraséologie scholastique. C’est une expression qui revient à plusieurs reprises parce, qu’elle couvre une conception dont l’esprit de Bacon est