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si elles existent, de ces molécules ; si nous connaissions parfaitement les états moléculaires, qui correspondent à tel ou tel état de pensée ou de sentiment, nous serions encore aussi loin que jamais de la solution de ce problème : quel est le lien entre cet état physique et les faits de la conscience ? L’abîme qui existe entre ces deux classes de phénomènes serait toujours intellectuellement infranchissable. Admettons que le sentiment amour, par exemple, corresponde à un mouvement en spirale dextre des molécules du cerveau, et le sentiment haine à un mouvement en spirale senestre. Nous saurions donc que, quand nous aimons, le mouvement se produit dans une direction » et que, quand nous haïssons, il se produit dans une autre ; mais le pourquoi ? resterait encore sans réponse. »

Ainsi l’expérience la plus vulgaire nous montre les deux faits comme inséparablement liés l’un à l’autre et leurs représentations les montrent comme absolument irréductibles l’un à l’autre. — D’un côté on éprouve que la pensée dépend du mouvement moléculaire cérébral ; de l’autre côté, on ne conçoit pas qu’elle en dépende. — Là-dessus les physiologistes oublient volontiers la seconde vérité et disent : « Les événements mentaux sont une fonction des centres nerveux, comme la contraction musculaire est une fonction des muscles, comme la sécrétion de la bile est une fonction du foie. » — De leur côté les philosophes oublient volontiers la première vérité et disent : « Les événements moraux n’ont rien de commun avec les mouvements moléculaires des centres nerveux, et appartiennent à un être de nature différente. » — Sur quoi, les observateurs prudents interviennent et concluent : « Il est vrai que les événements mentaux et les mouvements moléculaires des centres nerveux sont inséparablement liés entre eux ; il est vrai que pour notre esprit et dans notre conception ils sont absolument irréductibles entre eux. Nous nous arrêtons devant cette difficulté, et nous n’essayons même pas de la surmonter ; résignons-nous à l’ignorance. » — Pour nous, si, dans cette obscurité nous essayons de faire un pas, c’est qu’il nous semble que déjà nous en avons fait plusieurs[1]. D’une part, nous avons vu que nos idées les plus abstraites, étant des signes, se réduisent à des images, que nos images elles-mêmes sont des sensations renaissantes, que partant notre pensée tout entière se réduit a des sensations. La difficulté est donc simplifiée, et il ne s’agit plus maintenant que de comprendre la liaison d’un mouvement moléculaire et d’une sensation. — D’autre part, nous avons vu que les sensations, en apparence simples, sont des totaux ; que ces totaux, en appa-

  1. De l’Intelligence, tome i.