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ANALYSESp. d’ercole. — La Pena di morte.

et on peut admettre en partant de principes abstraits que le tort qu’on nous fait ne nous autorise pas à faire tort à autrui ; mais appliquons cela à l’État comme le demande M. d’Ercole, nous serons conduits à d’étranges conséquences. L’État n’aura non-seulement pas le droit de punir de mort, mais il n’aura en aucune façon le droit de punir, chaque individu se dressant devant lui, coupable ou non, dans l’intégrité et l’inviolabilité de ses droits. C’est là une argumentation chère à Beccaria et à Rousseau. Hegel s’inspirait en effet de tout autres principes ! Il y a une chose qu’il n’oublie jamais dans ses spéculations politiques, c’est la nécessité absolue qui s’impose à l’État de maintenir son existence. M. d’Ercole parle souvent de l’esprit de la philosophie hégélienne ; en ce qui concerne le droit concret, la politique, voilà l’esprit de cette philosophie : elle se préoccupe avant tout des nécessités d’ordre pratique et tandis que Rousseau fait de l’individu une sorte de Dieu, c’est l’État qu’elle investit d’un caractère sacré. Cette doctrine n’est pas acceptée universellement, tout s’en faut ; mais elle est le centre de la théorie du droit chez Hegel et c’est sur ce point que M. d’Ercole aurait dû porter son effort au lieu de s’épuiser en distinctions scolastiques.

Le sentiment de la réalité est nécessaire à qui traite de pareilles questions. Quand on entend l’auteur déclarer que toute peine doit être spirituelle, parce que l’homme est esprit, et que les peines naturelles doivent être réservées aux animaux ; qu’à proprement parler couper la tête à un homme n’est pas le punir, parce qu’on le traite alors comme chose périssable tandis qu’il est dans son essence un esprit indestructible et suprasensible ; que, par conséquent, la seule punition rationnelle est celle qui prive l’homme de sa liberté, le frappant ainsi dans son esprit et non dans son corps, on ne peut s’empêcher d’être effrayé du chemin que peut parcourir un philosophe une fois qu’il est en selle sur des abstractions. Est-ce que quand on renferme un homme pendant vingt ans, on ne le punit pas dans son corps aussi bien que dans son esprit ? Est-ce que quand on blesse ou que l’on tue, on n’atteint pas l’esprit aussi bien que le corps ? Et ne nous disiez-vous pas tout à l’heure que dans l’homme coupable il fallait épargner la raison libre, c’, est-à-dire épargner la vie même, considérant alors que celui qui tue frappe l’esprit dans sa substance, punit l’homme dans sa totalité ? C’est ainsi qu’à vouloir donner aux problèmes sociaux des solutions métaphysiques, à subtiliser sans mesure les éléments tout concrets de ces problèmes, à spéculer sur des entités verbales au lieu de supputer des nécessités et des besoins pratiques, on finit par se perdre dans ses propres formules. Qu’Hegel ait été « l’esprit le plus vaste des temps modernes » et même, si on le veut, « de tous les temps, » nous n’y contredisons point et nous ne cherchons pas si l’éloge est désintéressé de la part d’un disciple qui déclare posséder la doctrine du maître mieux que le maître, alors que le maître est mort et ne peut plus réclamer ; mais nous croyons qu’il ne suffit pas de revêtir la défroque de Hegel pour être autorisé à le remplacer dans ses fonctions d’oracle. Il y a