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Alexander main. — l'activité animale

dont l’origine est due à la seule sensibilité, se reproduire en l’absence totale de celle-ci, c’est chercher un effet en l’absence de sa cause. Inutile de répondre, avec le Dr  Carpenter, que l’attention est alors engagée ailleurs, car l’attention n’est pas un simple sentiment ; c’est une opération, une réflexion effectuée sur le sentiment, qui se dégage alors de cette masse confuse d’autres sentiments, toujours plus ou moins présents. Et ce n’est pas seulement le Dr  Carpenter, ce sont les neuf dixièmes des physiologistes qui semblent prétendre que, dans l’accomplissement des actes automatiques, ce n’est pas l’attention seule (la conscience intellectuelle), mais le simple sentiment lui-même (la conscience organique) qui fait absolument défaut. Ils parlent même de sentiments « réflexes, » qui subsisteraient en l’absence de la sensation !

Les inconséquences auxquelles ont été conduits, par des usages contradictoires du terme automate, les physiologistes et les psychologues, sont nombreuses et manifestes. Par exemple, le Dr  Carpenter (Physiologie mentale, p. 58) accepte tous les faits qu’implique l’heureuse tentative de sir John Lubbock, pour dresser une guêpe : cependant il continue à traiter les insectes de simples automates. Or, si la guêpe avait perdu tout sentiment pour passer à l’état, de pure machine, il serait absurde de parler d’une tentative heureuse pour la dresser. Figurez-vous une machine à vapeur qu’on tenterait de dresser ! Et pourquoi non, à en croire le Dr  Carpenter ? D’autre part, si l’insecte était doué de sentiment, s’il a tout le temps conservé ce sentiment, il n’a pu être, il n’a pu devenir une simple machine. Il semble donc clair que le Dr  Carpenter doive ou bien contester l’authenticité des faits rapportés de sir John Lubbock, ou bien renoncer à la théorie qui rend possible la transformation des insectes en mécanismes ingénieux. À en juger par les analogies tirées de notre propre conscience (qui, en ce cas comme dans bien d’autres, juge en dernier ressort), on pourrait dire que l’éducation la plus humble, réclame dans le sujet, de la sensibilité, quelque chose qui tient de l’intelligence, et au moins les rudiments d’une volonté.

Autre exemple d’un acte purement réflexe (autrement dit, purement mécanique). Le Dr  Carpenter (Phys. ment., p. 73) cite des enfants qui sont venus au monde sans cerveau, qui ont vécu, respiré pendant plusieurs heures, criant et même tétant, quoiqu’ils n’eussent aucun centre nerveux au-dessus de la moelle allongée. « Si une pareille créature, continue-t-il, a en réalité quelque conscience, cette conscience ne peut guère être d’un degré plus élevé que ce sentiment de besoin que nous éprouvons nous-mêmes, lorsque nous retenons notre respiration pour un court intervalle, etc. » Notons cette concession : qui s’aviserait, en effet, de faire éprouver le sentiment du besoin à une machine ? Quand une pompe est à sec, a-t-elle le sentiment « d’un besoin d’eau ? » Si un animal dépourvu de cerveau est doué d’un semblable sentiment, ce ne peut être une simple machine, c’est un organisme sensible, quel-