l’aile d’un papillon ou de l’œil d’un ciron pour écraser un athée : La Mettrie réplique que nous ne connaissons pas assez la nature pour nier que les causes qui agissent en elle aient pu tout produire. Le polype de Tremblay contient en soi les causes qui donnent lieu à sa reproduction. Pourquoi ne pas supposer qu’il existe « des causes physiques dont l’ignorance absolument invincible nous a fait recourir à un Dieu, » qui n’est pas même un être de raison ? Ainsi, montrer l’impuissance et le néant du hasard dans la genèse des choses, ce n’est pas prouver l’existence d’un être suprême, puisqu’il peut y avoir autre chose qui ne soit ni le hasard, ni Dieu, — la nature.
C’est ici que La Mettrie a écrit sur les causes finales une page éloquente, et qui mériterait de devenir classique. « Si nous écoutons les naturalistes, ils nous diront que les mêmes causes qui, dans les mains d’un chimiste et par le hasard de divers mélanges, ont fait le premier miroir, dans celles de la nature ont fait l’eau pure, qui en sert à la simple bergère ; que le mouvement qui conserve le monde a pu le créer ; que chaque corps a pris la place que la nature lui a assignée ; que l’air a dû entourer la terre, par la même raison que le fer et les autres métaux sont l’ouvrage de ses entrailles ; que le soleil est une production aussi naturelle que celle de l’électricité ; qu’il n’a pas plus été fait pour échauffer la terre et tous ses habitants, qu’il brûle quelquefois, que la pluie pour faire pousser les grains qu’elle gâte souvent… ; qu’enfin il se pourrait bien faire que Lucrèce, le médecin Lamy et tous les épicuriens anciens et modernes eussent raison lorsqu’ils avancent que l’œil ne voit que parce qu’il se trouve organisé et placé comme il l’est ; que, posées une fois les mêmes règles de mouvement que suit la nature dans la génération et le développement des corps, il n’était pas possible que ce merveilleux organe fût organisé et placé autrement. » « On le voit, dit Du Bois-Reymond, qui a reproduit tout ce passage dans son Éloge de La Mettrie, ce sont les mêmes idées qui agitent si vivement la science de nos jours. Après cent vingt ans des plus profondes recherches, ces idées ont naturellement revêtu une meilleure forme et reposent sur une base expérimentale plus large et plus solide. Le génie de M. Darwin s’est élevé à une synthèse qui écarte le plus sûrement les causes finales en les rendant inutiles. » Dans un autre mémoire sur les Travaux scientifiques de Leibnitz, que nous avons déjà cité, ce savant a déclaré aussi que la science moderne proteste contre la conception des causes finales et qu’elle tente de la déraciner des esprits. La Mettrie rapporte, non sans malice, le pour et le contre, et il affecte de ne point prendre parti. Mais on voit bien quel parti il prend,’car il met tout aussitôt cette phrase dans la bouche d’un