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jusqu’à l’endroit même où l’âme sensitive reçoit la sensation à la faveur de ce reflux d’esprits qui par leur mouvement agissent sur elles. » En d’autres termes, toute sensation est liée à des mouvements et peut n*être rien de plus. Quant au rapport du sujet percevant à la chose perçue, La Mettrie sait très-bien « que les sensations ne représentent point du tout les choses telles qu’elles sont en elles-mêmes, puisqu’elles dépendent entièrement des parties corporelles qui leur ouvrent passage. » Ainsi, non-seulement les qualités secondes des corps, les couleurs, le goût, les températures, etc., sont, non des propriétés des corps, mais de pures sensations subjectives ; on ne conçoit pas mieux les qualités premières des corps : « Les idées de grandeur, de dureté, etc., ne sont déterminées que par nos organes. Avec d’autres sens, nous aurions des idées différentes des mêmes attributs, comme avec d’autres idées nous penserions autrement que nous ne pensons de tout ce qu’on appelle ouvrage de génie ou de sentiment. » L’âme n’est pas inétendue comme le prétend Descartes. Dans son système l’âme ne peut agir sur le corps. Or il est impossible de concevoir aucun être sans étendue. Le siège de l’âme, le lieu où elle est répandue est situé dans la « moelle du cerveau. » Ce qui sent et pense en nous est par conséquent matériel. Mais comment concevoir que la matière puisse sentir et penser ? La Mettrie avoue qu’il ne le conçoit pas. Mais si la mémoire, l’imagination, les passions, de même que la volonté, la liberté, la réflexion et le jugement s’expliquent, comme il le fait dans cette Histoire naturelle de l’âme, par ce que l’anatomie et la physiologie lui découvrent dans la moelle, qu’ai-je besoin, se demande-t-il, de forger un être idéal, une âme ? Une saine philosophie doit avouer qu’elle ne connaît pas « cet être incomparable qu’on décore du beau nom d’âme et d’attributs divins. » La foi seule peut fixer notre croyance sur la nature d’une âme raisonnable et immortelle, qui serait seule capable de s’élever jusqu’aux idées intellectuelles, « quoiqu’elle jouisse peu de cette noble prérogative dans la plupart des hommes[1] »

Dans le dernier chapitre de l’Histoire naturelle de l’âme, La Mettrie a réuni un choix d’observations piquantes à l’appui de sa théorie, comme font les médecins à la suite de leurs traités.

L’ouvrage de La Mettrie peut se résumer, comme.il l’a fait, en ces propositions : Point de sens, point d’idées. — Moins on a de sens, moins on a d’idées. — Peu d’éducation, peu d’idées. — Point de sensations reçues, point d’idées : l’âme dépend essentiellement des organes 4u corps avec lesquels elle se forme, croit et décroît.

Ergo participem leti quoque convenit esse.
  1. Ch. XIV, p. 192 et suiv.