que de haut et de bas dans l’univers, que le droit est une.fiction, la liberté un mensonge et une hypocrisie.
Quand on cherche à se représenter avec quelque précision en quoi le matérialisme du xviie siècle a différé de celui du xviiie, on note tout d’abord l’attitude des matérialistes de ces deux époques devant la religion et la morale. Gassendi et Hobbes non-seulement ont vécu en paix avec l’Église et préconisé la morale chrétienne, mais, à l’exemple d’Épicure, ils ont pratiqué la religion de leur temps et de leur pays. Au contraire, la philosophie matérialiste du xviiie siècle s’est efforcée avant tout de ruiner les fondements dogmatiques et historiques de la foi religieuse, et, par antipathie pour la morale de Jésus, elle a célébré volontiers la morale d’Aristippe. Gassendi avait bien mis en relief le côté sérieux et profond de l’éthique d’Épicure. La Mettrie et les matérialistes du dernier siècle, en plaçant le souverain bien dans la volupté des sens, ont assez montré qu’ils n’entendaient pas mieux le maître et la doctrine que les Romains des derniers temps de la république. Épicure aurait désavoué ces disciples frivoles et superficiels. S’ils se sont laissé corrompre par l’épicurisme, c’est qu’ils l’avaient d’abord corrompu.
Cependant, et abstraction faite de l’action des principes de cette doctrine’sur le développement des méthodes et des hypothèses scientifiques, le matérialisme du xviie siècle a plus d’analogie avec celui du xviiie qu’avec celui du xixe siècle. Hobbes et Gassendi ont vécu dans les cours ou auprès des grands. La Mettrie fut le protégé et l’ami d’un roi. Quand les philosophes, de soumis qu’ils avaient été si longtemps, devinrent agressifs envers l’Église et les pouvoirs publics, c’est que l’aristocratie était devenue hostile au clergé et au roi. À notre époque le matérialisme n’a plus de protecteurs couronnés en Europe. Ce qui peut rester d’ancienne noblesse en France a trop perdu au triomphe des idées modernes, et la nouvelle aristocratie financière est en général trop ignorante ou trop insoucieuse des spéculations métaphysiques pour condescendre encore à soutenir de son crédit des doctrines mille fois dénoncées au monde entier par les églises, par les académies, par les universités. De nos jours, le matérialisme n’a d’autre appui, — en dehors de ce que Lange appelle son droit de parler selon sa conviction, et de ce que nous appellerons plus justement la tolérance des mœurs contemporaines, — que l’accueil d’un grand public toujours plus ouvert aux idées et aux généralités de la philosophie des sciences.
Lange a tracé d’après Macaulay et Buckle un tableau fort brillant de cette société anglaise du xviie siècle dont la frivolité élégante, la légèreté morale et le scepticisme religieux ont si fort favorisé les