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j. soury. — histoire du matérialisme

de la nature, lequel ne commençait qu’avec les causes secondes. Du reste, l’audace de ces physiciens n’avait d’égale que leur respect pour la religion de l’État, les coutumes de la nation, les mœurs de leurs compatriotes. Ce que Gassendi a dit d’Épicure, pars haec tum erat sapientiae, ut philosophi sentirent cum paucis, loquerentur vero agerentque cum multis nous paraît bien mieux convenir à son temps, et surtout au nôtre, qu’à celui du sage des jardins d’Athènes.

On sait jusqu’à quel point Hobbes porta ce respect ou, si l’on veut, cette superstition des institutions politiques et religieuses de l’État. C’est à l’école nominaliste que ce matérialiste redoutable apprit la logique et la physique. Son esprit en garda un pli qui ne s’effaça jamais. Depuis les sophistes grecs, aucun philosophe peut-être n’a été plus pénétré du caractère relatif et subjectif de nos idées. Ce qu’il avait pu conserver de préjugés scholastiques et ecclésiastiques se perdit dans le commerce da monde où il vécut. C’est en France, où il fut en relations avec les personnages et les savants les plus célèbres, avec Mersenne, Gassendi, etc., que Hobbes lut pour la première fois, à quarante et un ans, les Éléments d’Euclide ; deux ans plus tard, il commençait aussi à Paris l’étude des sciences naturelles. C’est de ces deux disciplines, approfondies avec une ardeur et une solidité de génie admirables, que sortit pour lui une conception purement mécanique des choses, un matérialisme d’une rare conséquence et un sensualisme qui contient en germe celui de Locke. Pour Hobbes la philosophie est une science naturelle ; la transcendance en est bannie ; la fin en est toute pratique. C’est là du reste, Lange en a fait la remarque, une conception qui a chez les Anglais de bien profondes racines et dont témoigne assez le sens qu’ils attachent au mot philosophy. Hobbes est bien le sucesseur de Bacon.

Mais le père de la philosophia civilis connaissait mieux que Bacon les sciences naturelles dé son temps.

Hobbes n’aime pas Aristote ; il hait le pape. La théologie spéculative n’a pas eu de plus grand ennemi que ce contempteur de la philosophie d’école. Il repousse absolument, on le sait, la suprématie spirituelle et temporelle de l’Église. Point d’adversaire plus décidé de l’infaillibilité papale. Mais que la théologie continue à revendiquer le nom de science, que dis-je ? à soutenir qu’elle est la science par excellence et que toutes les autres disciplines de l’esprit humain ne sont que ses humbles servantes, voilà ce que Hobbes ne saurait admettre. La théologie spéculative n’est pas une science, car elle n’a point d’objet ou du moins cet objet est inaccessible. Penser, c’est