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ouvrage, et pour lui donner une base solide de faits, il étudia l’anthropologie, tout comme il avait étudié l’anatomie avant d’écrire sa psychologie. Il s’est trouvé que cette Anthropologie der Naturvölker, conçue d’abord comme travail préparatoire, a servi à une autre fin : l’histoire naturelle des peuples non civilisés. Le caractère propre de ce livre doit être indiqué d’une manière précise. Ce titre vague d’anthropologie s’applique en effet à des recherches de toute sorte. L’étude de l’homme dans ses caractères physiques, moraux, sociaux, dans son évolution et ses migrations, est une tentative si vaste, si mal délimitée, qu’elle absorberait à la rigueur toutes les sciences humaines. C’est qu’en fait, l’anthropologie repose sur une conception illogique et arbitraire. Toute science précise a pour objet un groupe de phénomènes déterminés qu’elle étudie partout où ils se rencontrent. Ainsi procèdent l’anatomie, la physiologie, la psychologie, la morale : elles s’attachent à certains faits qu’elles poursuivent dans toute la série animale et même dans toute la série vivante. L’anthropologie, au contraire, s’occupe non d’un groupe de phénomènes, mais d’une espèce : son unité est factice, car elle n’existe que pour l’homme et par l’homme : c’est moins une science qu’une somme d’emprunts faits à toutes les autres. Aussi les livres d’anthropologie ne traitent-ils qu’une bien faible partie de ce que leur titre promet. Ce ne sont guère que des traités d’anatomie comparée des races humaines ; le reste est omis ou effleuré. Waitz — et c’est là ce qui le caractérise — s’est attaché surtout au côté psychologique : bref, il a mis au premier plan ce que les autres anthropologistes ne mentionnent qu’en passant, quand ils s’en occupent.

Son ouvrage, on ne peut le nier, est dépassé, surtout le premier volume qui, consacré tout entier aux questions générales, a eu le mauvais sort de paraître quelques mois avant l’Origine des espèces, La partie psychologique de cette introduction (p. 296 et sq.), quoique très-étendue, a également vieilli. Pour Waitz, deux problèmes principaux se posent : Y a-t-il un caractère spécifique de l’homme ? Y a-t-il des différences spécifiques entre les races humaines[1] ?

À la première question, Waitz répond que les caractères psychologiques propres à l’homme ne se laissent pas exprimer par une seule formule, telle que la perfectibilité. Il les ramène à quatre groupes de faits : l’homme se soumet la nature par son travail ; il se sert du langage articulé ; il a des notions qui servent de base à la vie sociale ; il a des conceptions religieuses.

  1. Il est bien entendu qu’il ne s’agit ici, pour Waitz, que du point de vue purement psychologique.