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DE LA PLACE DE L’HYPOTHÈSE

DANS LA SCIENCE.



Tout le monde sait que la science résulte de l’emploi simultané de l’observation et du raisonnement ; mais on ignore trop qu’elle suppose un troisième facteur non moins indispensable. Lorsqu’on a exposé, comme l’ont fait Stuart Mill et M. Alexandre Bain, les lois de la Logique déductive et inductive, on pense souvent avoir épuisé le sujet du mode de formation du savoir humain. Cependant, sans la faculté de faire des suppositions justes, l’observation demeurerait stérile, et la raison serait impuissante. L’observation et le raisonnement sont deux conditions nécessaires de la science, mais l’hypothèse est son facteur essentiel. L’hypothèse toutefois a été souvent oubliée par les logiciens, souvent reléguée sur un arrière-plan ; elle a même été parfois absolument proscrite. On commence, de nos jours, à reconnaître sa place et son importance. Les écrits consacrés à la méthode par MM. Whewel, Chevreuil, Liebig, Claude Bernard, sont très-supérieurs sous ce rapport à la plupart des ouvrages antérieurs qui traitent le même sujet. Le progrès est réel. Si l’on consulte le Dictionnaire philosophique de Krug (1827 à 1834) et le Dictionnaire des sciences philosophiques publié sous la direction de M. Franck (1844 à 1851), on constatera que le premier ne parle guère de l’hypothèse que pour l’exclure, tandis que le second en signale l’importance, avec une certaine timidité, mais sérieusement.

Ce mouvement de la pensée contemporaine n’est point encore parvenu à son terme légitime. Je désire contribuer à marquer la place d’une vérité logique qui a fixé mon attention depuis bien des années, et dont le développement me paraît destiné à produire des conséquences importantes dans le domaine entier de la philosophie.

Le terme scientifique hypothèse, employé dans un sens large, a la même signification que les mots usuels supposition et conjecture. Ce terme désigne le résultat d’un acte intellectuel qui s’accomplit à chaque instant. Toutes les fois qu’on cherche à expliquer un fait, la