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ANALYSES ET COMPTES-RENDUS




L. Carrau. La morale utilitaire. Exposition et critique des doctrines qui fondent la morale sur l’idée de bonheur[1]. — Paris, Didier.

Ce livre de M. L. Carrau est né d’un concours académique. Quand des œuvres de cette nature ont été couronnées, quand l’auteur les a revues à loisir, elles sont souvent dignes de rester, et l’on ne saurait être mal venu à en parler même un an après. Tout au plus est-on dispensé de renouveler les éloges déjà décernés par le rapporteur du concours.

Comme le titre l’indique, ce volume se divise en deux parties. La première contient l’exposition historique de la morale utilitaire depuis Socrate et Aristippe de Cyrène jusqu’à MM. Herbert Spencer et Darwin. La seconde est consacrée à l’examen critique de cette doctrine considérée d’abord en elle-même, ensuite dans ses applications.

De la première, nous avons peu de chose à dire : c’est un tableau complet, mais un peu monotone à la longue, des formes que la morale de l’intérêt a successivement revêtues dans ce long espace de temps. Les nuances, les progrès même, si l’on veut, sont exactement notés, d’une manière un peu systématique peut-être. Il faut convenir cependant que l’utilitarisme parait s’être transformé avec Stuart Mill, surtout avec M. Herbert Spencer. On peut ici se croire bien loin de l’empirisme presque naïf d’Épicure et même de Bentham. Le système de l’intérêt, sous sa forme nouvelle, ne ressemble pas plus à l’égoïsme classique, au premier abord, que la doctrine associationniste au sensualisme de Condillac. Mais au fond, il est resté le même : aux déclarations si franches ou si grossières de ses anciens partisans, on a seulement substitué des formules plus discrètes, et ajouté une hypothèse. Aussi M. Carrau a-t-il pu le résumer en ces trois propositions fondamentales, dont la dernière seule étonnerait sûrement les premiers utilitaires :

« L’objet suprême de l’activité humaine, c’est le plus grand bonheur possible du genre humain.

« Les actions humaines sont moralement bonnes ou mauvaises, selon qu’elles contribuent à augmenter le bonheur ou à le diminuer.

« Le motif moral est égoïste à l’origine, mais peut, par une série d’as-

  1. Ouvrage couronné par l’Académie des sciences morales et politiques.