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logique byzantine, soutient Lange qui renvoie pour les preuves au livre de Prantl sur l’Histoire de la logique en Occident, c’est de cette logique ultra-formelle des écoles grecques du bas empire, que serait venue la première lueur d’une saine réforme de la philosophie. Répandue en Europe au xiiie siècle, cette discipline porta l’attention sur les mots, sur leur ambiguïté dans l’emploi ordinaire, et, en émancipant la pensée des anciennes formes de langage, elle produisit peu à peu une nouvelle langue philosophique d’une précision inconnue à l’antiquité. Tel est, par exemple, le premier mérite du nominalisme (on devrait dire terminisme) d’Occam, véritable précurseur à cet égard de Bacon, de Hobbes et de Locke. Cette révolution était nécessaire pour qu’une nouvelle science pût naître qui, au lieu de tout tirer du sujet, laissât parler l’objet, les choses, dont le langage est souvent si différent de celui des grammaires et des lexiques. Le nominalisme intéresse l’histoire du matérialisme, et par son opposition au platonisme et par l’attention qu’il a toujours accordée au concret. Il est bien remarquable que Occam est né dans cette grande Angleterre qui fut la terre d’élection, la vraie patrie de l’empirisme, du matérialisme et du sensualisme. En outre, le principe sceptique du libre examen, que représente le nominalisme, se dresse en face du principe d’autorité de la philosophie du moyen-âge. Puis, Occam n’est pas seulement anglais : il est franciscain, il appartient à ce terrible ordre de saint François, qui si souvent inquiéta la cour de Rome par son humeur frondeuse, son impatience de toute hiérarchie, son goût des nouveautés, ses audacieuses velléités de retour à la pauvreté évangélique de Jésus et des apôtres. Occam n’hésita pas à traiter les prétentions séculaires de l’Église dans le temporel avec le même radicalisme, la même conséquence de doctrine que la philosophie réaliste. Libre penseur à la manière anglaise, il s’en tint, au côté pratique de la religion et jeta par-dessus bord toute théologie spéculative, comme fit Hobbes, estimant indémontrables les propositions doctrinales de la foi. Il savait de reste que l’universel, et non le particulier, est la fin de la science ; il ne niait que les universaux comme tels. L’universel n’est qu’un nom. Est universale vox. Mais ce nom est le signe, l’expression d’un concept, d’une idée de l’entendement qui se résout en faits individuels ou particuliers. Bref, la proposition d’Occam, que la science n’a pas d’autre sujet en dernière analyse que les choses particulières perçues par nos sens, sert encore de fondement à la Logique de Stuart Mill.

Jules Soury.