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j. soury. — histoire du matérialisme

sans la vérification expérimentale, les hypothèses scientifiques ne seraient que de vaines fictions comme les idées morales et religieuses. C’est ici que le matériahsme reprend ses droits, et, par la méthode, agit indirectement, mais d’une manière toute-puissante, sur l’élaboration des synthèses supérieures de l’esprit humain. La méthode est distincte de l’invention, mais elle est la condition de tout savoir logique et systématique des choses. Rien ne serait plus facile que de vérifier à cet égard l’action de la philosophie de Démocrite sur les théories en apparence les plus contraires. Ainsi, la matière dont Platon n’a pu se passer pour construire son univers, se résout en corpuscules élémentaires doués de mouvement. Aristote, quoiqu’il s’oppose de toute sa force à l’hypothèse du vide et qu’il établisse comme un dogme la continuité de la matière, est bien forcé aussi de prendre en considération les idées théoriques de Démocrite sur le mouvement. Aujourd’hui ; depuis la constitution de la chimie, depuis la théorie des vibrations et la théorie mathématique des forces agissant dans les plus petites particules matérielles, l’atomisme est bien plus mêlé aux sciences positives. Pourtant, grâce à cette hypothèse scientifique, dès l’antiquité le monde se dégagea des nuages de la mythologie, et l’on vit les disciples d’un Pythagore et d’un Platon méditer sur les phénomènes naturels ou les soumettre à l’expérience sans confondre le monde des idées et des nombres mystiques avec les réalités de celui-ci. Cette confusion ne se produisit qu’assez tard, en pleine anarchie intellectuelle, quand la ruine de l’antique culture hellénique laissa le champ libre aux enthousiastes néo-platoniciens et néo-pythagoriciens. Nous croyons avec Lange, que le contre-poids qui avait retenu si longtemps les idéalistes grecs, qui les avait empêchés de tomber du côté où ils penchaient plus que de raison, ç’a été le matérialisme avec ses méthodes d’observation et de vérification. L’honneur en revient tout entier à Démocrite, car les épicuriens n’ont guère été que des moralistes. Si les idéalistes n’avaient pas assez le sentiment de la réalité et se détournaient trop vite de l’observation patiente des phénomènes, les matérialistes ont toujours été beaucoup trop enclins à s’en tenir aux vaines apparences des choses, et, au lieu de rien approfondir, à se contenter des explications les plus prochaines. Ce qu’on peut reprocher à Épicure et à son école, c’est de n’avoir point fait progresser la science antique, c’est de s’être complus et attardés aux explications multiples des phénomènes de la nature, c’est d’avoir négligé la physique pour la morale. Mais Épicure n’est pas seul responsable de cette décadence. Ceux qui, en Grèce, ont arrêté le développement de la physique, de l’astronomie et de toutes les