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j. soury. — histoire du matérialisme

physiciens de l’Ionie et les disciples d’Épicure. Socrate, Platon et Aristote paraissent seuls en pleine lumière. Il vaut mieux noter que la doctrine d’Épicure, qui ne s’attarda pas aux imaginations poétiques d’un Empédocle, a formé la transition naturelle entre l’ancienne philosophie spéculative des Hellènes et l’époque des recherches fructueuses sur le terrain solide des sciences de la nature. C’est à Alexandrie qu’elles ont fleuri pour la première fois sur la terre ; c’est d’Alexandrie qu’elles sont venues dans l’Europe moderne comme des semences fécondes. Le grand présent que cette ville a fait au monde, c’est la méthode scientifique. Ce progrès décisif dans l’histoire de la civilisation s’étend à toutes les sciences et au reste de l’hellénisme : il est le trait commun de la haute culture grecque après l’ère de la philosophie spéculative. On le constate avec Aristarque dans les études de grammaire et de critique, aussi bien qu’avec Polybe dans l’histoire ou avec Euclide dans la géométrie. Archimède trouve dans la théorie du levier le fondement de toute la statique, et de lui à Galilée les sciences mécaniques n’ont point progressé. L’astronomie surtout qui, depuis les Thalès et les Anaximandre, avait été fort négligée, est proprement constituée par Hipparque : c’est ici le triomphe de la méthode inductive, reposant sur l’idée de l’existence de lois nécessaires dans la nature, notion féconde qui devait reparaître dans le monde avec Copernic et Kepler avant que Bacon en tirât la philosophie moderne, mais dont Démocrite avait eu le premier une très-claire conscience.

Le complément de la méthode inductive, l’expérience, fut aussi trouvée à Alexandrie. Avec Hérophile et Érasistrate, l’anatomie devint le fondement de la médecine ; on pratiqua certainement des vivisections[1]. Ce n’est pas le lieu d’esquisser un tableau du magnifique essor que présentent toutes les sciences dans cette capitale intellectuelle du monde, quelques siècles avant le grand naufrage de la civilisation antique, le triomphe du christianisme et des barbares : ce qu’il est permis d’affirmer, c’est que la renaissance du seizième siècle ne fut qu’une restauration des idées et des principes de la culture alexandrine. Il y a toujours quelque légèreté à médire de la science des anciens. Ne parlons pas de la grammaire, de la logique, de l’histoire et de la philologie, dont on ne conteste point les résultats solides et durables. Même dans les sciences de la nature que les modernes ont portées à un si haut point de perfection ou de généralisation, les fondements qui supportent tout l’édifice sont grecs. Que l’on se souvienne d’où étaient partis les Hellènes, des

  1. Galien cite (Des lieux affectés, III, iii) un traité de lui perdu, sur la dissection des animaux vivants.