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rialiste, car admettre l’existence d’états internes dans ces éléments, c’est en faire des monades, ainsi que dans l’idéalisme et le naturalisme panthéiste. L’âme est pour Épicure un corps d’une rare ténuité répandu dans tout le corps comme une chaude haleine : dans un temps où l’on ne connaissait ni les propriétés des nerfs ni les fonctions du cerveau, l’âme matérielle d’Épicure était un véritable organe, apparaissant et se dissolvant avec les autres organes du corps.

Quand on songe au goût des Grecs pour la subtilité et la dialectique d’école, il faut louer le bon sens qui fit rejeter à Épicure la dialectique comme inutile et nuisible. Il n’usa d’aucun jargon scholastique et se servit de la langue des honnêtes gens. Il aimait la clarté en des matières où, je l’avoue, il est bien souvent permis d’être obscur. Lange, qui a toujours cultivé la logique, et qui l’a même choisie pour son dernier enseignement à Marbourg, signale comme un sujet d’étude trop dédaigné et assez mal compris la logique d’Épicure ; il la considère comme étant strictement sensualiste et empirique, claire et conséquente. Le fondement de toute connaissance était pour Épicure la perception sensible ; en soi celle-ci est toujours vraie ; l’erreur ne consiste que dans le rapport du sujet percevant à l’objet perçu, partant dans le jugement. Le critérium de la vérité de toute proposition générale est sa confirmation par la perception. Les propositions générales sont donc des opinions nées du commerce de l’homme avec les choses. C’est ainsi qu’on raisonne encore aujourd’hui quand on invoque les « faits ». Or la perception témoigne seule de l’existence de ces faits, du moins en dernière analyse, le fait élémentaire ne pouvant jamais être pour nous qu’une sensation.

La philosophie grecque proprement dite (car le néoplatonisme alexandrin n’a de grec que la langue) finit avec Épicure et son école, comme elle avait commencé avec les philosophes naturalistes de l’Ionie. Les développements futurs du génie hellénique dans l’investigation des choses appartiennent aux sciences positives de la nature.

Ç’a été une sorte de mode jusqu’en ces derniers temps de ne voir dans les savants d’Alexandrie que des pédants d’école, des érudits routiniers, des professeurs au jugement subtil et faux, ou de beaux esprits ennemis de l’observation et de l’expérience. Rien n’est moins vrai, et Lange a eu raison d’insister, comme Draper, sur l’importance capitale de l’école d’Alexandrie dans l’histoire des sciences. La philosophie grecque avait fini, nous le répétons, comme elle avait commencé, par le matérialisme. C’est ce qui a fait comparer son cours à celui d’un jour qui monte de la nuit à l’aurore et au jour, pour décliner bientôt vers le soir et s’éteindre dans les ombres. Naturellement c’est dans les sombres ténèbres de la nuit qu’on relègue les