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j. soury. — histoire du matérialisme

passions vulgaires du citoyen, jamais Épicure ne les aurait trouvés dans les cités turbulentes, dévorées d’envie et de soupçons jaloux, oscillant sans cesse de la démagogie à la tyrannie, du monde grec antérieur à Alexandre et à Antipater. C’était le bon temps pour philosopher. Les républiques, les démocraties, ont toujours été hostiles au matérialisme, à l’étude abstraite et désintéressée de la nature. Les doctrines spiritualistes, avec leurs aspirations généreuses et un peu déclamatoires, avec leur foi dans l’idéal et leur enthousiasme naïf, sont bien plus du goût des foules. On oublie trop en France que, au témoignage même du baron d’Holbach, le matérialisme et l’athéisme « ne sont point faits pour le vulgaire ». Épicure ne scandalisa même point les simples qui croient si bien à leur manière. Il assistait sans affectation aucune aux cérémonies religieuses traditionnelles : c’était là une concession à ce qui avait existé de tout temps, et sans doute aussi un reste de douces habitudes d’enfance. D’ailleurs il n’était pas athée. Il lui fallait admettre, dans son système, que quelque chose, d’objectif répondit à l’idée presque universelle des dieux que les hommes portent en eux. Ne sachant que faire de ces ombres dans une explication mécanique de l’univers, il les considérait volontiers comme des êtres éternels, heureux et beaux comme des éphèbes, que l’on doit honorer pour leur perfection sans les rabaisser au point de croire qu’ils ont cure de nous ou de ce monde. Je ne sais si Lange ne va pas bien loin quand, après avoir affirmé que ce culte des dieux était tout subjectif pour Épicure, il ajoute que ce qu’il vénérait c’était l’idée divine considérée comme un élément de noblesse humaine, et non les dieux eux-mêmes en tant qu’êtres extérieurs et réels. Voilà, en tout cas, une religion dont s’accommoderaient nombre de « déistes » contemporains qui n’osent se dire athées.

La physique d’Épicure n’étant autre que celle de Démocrite, sur laquelle nous avons longuement insisté, nous n’en parlerons point. Cette science ne fit aucun progrès dans son école ; elle n’y fut que la servante de l’éthique. Le but de l’explication physique de la nature étant de nous délivrer de la crainte des dieux et des terreurs d’outre-tombe, toute recherche naturelle cesse dès qu’il est démontré que ce qui arrive dans l’univers est le résultat de lois générales et invariables. Entre les hypothèses que l’on propose pour l’interprétation des phénomènes, on peut choisir ; il n’importe, pourvu que l’explication soit naturelle. Il convient seulement de noter que les atomes d’Épicure, comme ceux de Démocrite, n’ont toujours point d’états internes que l’on puisse opposer à leurs mouvements et à leurs combinaisons externes. C’est le caractère propre de l’atomisme maté-