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E. de Hartmann. — schopenhauer et frauenstaedt

d’avoir laissé subsister cette prétention, au lieu de montrer qu’elle est en contradiction avec toute la métaphysique de Schopenhauer (et en vérité aussi bien avec son réalisme de la volonté qu’avec son idéalisme subjectif). Cette métaphysique, en effet, est du spiritualisme pur en opposition inconciliable avec un matérialisme quelconque. La troisième faute enfin est d’avoir maintenu le concept de Schopenhauer de la matière pure, qui cependant est uniquement le produit de l’idéalisme subjectif. Après avoir éliminé ce dernier, il aurait dû considérer la conséquence logique écartée avec les fausses prémisses.

D’après la métaphysique réaliste de Schopenhauer, il n’y a qu’une substance : la volonté, qui est en même temps à ses yeux la fonction psychique fondamentale, par conséquent une substance spirituelle et immatérielle. Son matérialisme, au contraire, consiste précisément dans la négation de l’existence possible d’une substance en dehors de la matière, et son idéalisme subjectif consiste dans la négation de la valeur transcendantale des formes de la représentation, par conséquent aussi de celle du concept de la substance qu’il présuppose dans sa métaphysique comme la substance de la volonté. Schopenhauer a raison sur ce point que notre intelligence est obligée d’admettre un support substantiel derrière les phénomènes concrets ; il a également raison de dire que cette substance des phénomènes est la volonté ou la force, mais ensuite il a tort de prétendre que cette substance doit être en même temps quelque chose de tout à fait différent de la volonté, à savoir la fiction scolastique d’une matière pure. Il a raison de dire que cette matière pure n’existe pas empiriquement et que nous pouvons arriver seulement par la pensée derrière les phénomènes, empiriques. Mais s’il était fondé dans sa prétention que notre entendement est forcé par sa nature de penser la substance du phénomène comme une matière pure ou abstraite, il serait obligé de rejeter toute sa métaphysique de la volonté non-seulement comme fausse, mais encore comme inintelligible pour notre entendement, et de condamner cependant le concept de la matière comme une illusion, quand même ce serait une illusion indestructible. En effet, celle-ci nous engage à cette absurdité de considérer à côté de la force un substratum dénué de force comme cause efficiente des processus du monde, de regarder une simple forme ajoutée par notre pensée subjective à nos perceptions, comme le fondement dernier des phénomènes objectifs, et une simple abstraction de l’étendue et du mouvement comme la substance des phénomènes, c’est-à-dire comme quelque chose d’élevé au-dessus du temps et de l’espace.