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j. soury. — histoire du matérialisme

possibilité de devenir toute chose, la matière n’est rien en réalité. Il n’est donc point question d’un substratum matériel des choses possédant en soi l’existence et le mouvement.

La théorie aristotélicienne de la substance pourrait aussi induire en erreur à la suite des nominalistes. Fort différent de Platon à cet égard, Aristote appelle substance tout être et toute chose en particulier. Ce qui résulte de l’union de la forme et de la matière est une chose concrète, et le philosophe s’exprime parfois comme si la pleine réalité n’appartenait qu’à celle-ci. Voilà bien le point de vue des nominalistes. Mais Aristote admet encore une autre sorte de substance dans la notion générale d’espèce. Ce pommier est une substance ; l’idée des pommiers en tant qu’espèce en implique une seconde. Seulement la substance des pommiers en général ne réside plus au pays chimérique des idées d’où elle rayonnait dans le monde phénoménal : l’être, la substance générale du pommier existe dans chaque pommier particulier. Ainsi le « général » n’est plus qu’un nom pour Aristote. C’est la tendance, observée déjà chez Socrate et chez Platon, d’évoquer des mots les êtres et les substances et de perdre de vue ce qui est réel et particulier dans la vision subjective des concepts généraux. On commence par admettre que l’être ou la substance des individus réside dans l’espèce ; on infère ensuite que ce qu’il y a de plus essentiel dans l’espèce doit résider plus haut, dans le genre, et il n’y a plus de raison de s’arrêter. L’influence de Platon sur Aristote paraît ici avec une entière évidence. Partir de l’observation des phénomènes pour s’élever aux principes de la nature est une excellente méthode qu’Aristote connaissait bien, mais qu’il n’a guère pratiquée. Quelques faits isolés lui suffisent pour s’élever aux propositions les plus générales, à de véritables dogmes. C’est ainsi qu’il démontre qu’il ne peut rien y avoir en dehors de notre monde, qu’une matière doit se transformer en une autre, que le mouvement est impossible dans le vide, etc. La science qui convient le mieux à cette philosophie, comme à presque toute la philosophie grecque, c’est la mathématique, avec ses vérités d’ordre logique et ses méthodes déductives.

L’erreur fondamentale d’Aristote, c’est d’avoir introduit dans les choses la notion toute subjective du possible, du δυνάμει ὄν. Il n’y a point de possibilité dans la nature, dit Lange ; il n’y a que des réalités et des nécessités. C’est toujours l’éternelle confusion des idées et des faits, des formes de la pensée et des formes de l’être. Même fausse conception des choses dans la théorie aristotélicienne de la substance et de l’accident. Il n’y a rien de fortuit dans la nature. Le grain de blé n’est pas un épi en puissance ; ce n’est qu’un grain de blé. C’est seulement dans le domaine des abstractions qu’on peut opposer