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j. soury. — histoire du matérialisme

vient d’ajouter qu’il a trouvé dans sa téléologie les preuves de sa démonstration de l’existence et de la providence des dieux. Ainsi, celui qui dès l’origine a fait des hommes, ὁ ἐξ ἀρχῆς ποιῶν ἀνθρώπους[1], leur a donné, « dans une vue d’utilité, » des oreilles pour entendre, des yeux pour voir, des narines pour sentir les odeurs, une langue pour éprouver les saveurs, des paupières, des cils et des sourcils pour protéger l’œil, des incisives pour couper, des molaires pour broyer, été. Les dieux, qui font briller la lumière du jour pour que nous puissions distinguer les choses, répandent les ombres sur la terre quand nous avons besoin de repos. Alors, au milieu des ténèbres, ils allument les astres qui nous indiquent les heures de la nuit ; outre les divisions de la nuit, la lune nous indique aussi celles du mois. Les dieux font sortir de la terre notre nourriture, ils nous donnent l’eau, le feu, l’air, les animaux. Ils aiment et chérissent l’homme ; ils veillent sur lui avec la plus grande sollicitude. « J’en suis à me demander, dit Euthydème, si l’unique occupation des dieux ne serait pas de veiller sur l’homme[2]. » Voilà l’œuvre des dieux ; c’est ainsi qu’ils se manifestent ; il suffit de contempler leur ouvrage pour les vénérer et les honorer sans attendre qu’ils se montrent à nous sous une forme sensible. « Quant à celui qui dispose et régit l’univers, dans lequel se réunissent toutes les beautés et tous les biens, et qui, pour notre usage, maintient à l’univers une vigueur et une jeunesse éternelles, qui le force à une obéissance infaillible et plus prompte que la pensée, ce dieu Se manifeste dans l’accomplissement de ses œuvres les plus sublimes, οὗτος τὰ μέγιστα μὲν πράττων ὁρᾶται, tandis qu’il reste inaperçu (ἀόρατος) dans le gouvernement du monde[3]. »

On le voit, Socrate est déjà monothéiste. Si c’est un mérite, il l’a tout entier, car le νοῦς d’Anaxagore n’a en réalité rien de commun avec le dieu socratique dont la terre et les cieux racontent la gloire, et dont la foudre et les vents sont les ministres[4], ainsi que dans les psaumes. Sans doute, le monothéisme de Socrate l’Athénien n’est pas exclusif comme l’a été celui des Juifs et des Arabes d’une certaine époque, puisqu’à côté de la divinité suprême il admet l’existence d’autres dieux qu’il fait seulement descendre à un rang inférieur. Ceux qui croient qu’il est d’une plus haute philosophie d’adorer un seul dieu que plusieurs ne sauraient, à cet égard, hésiter entre Socrate et les maigres enfants des déserts de l’Arabie : le dernier

  1. Xenoph., Memor., I, iv, § 5.
  2. Ibid., IV, iii, § 9.
  3. Ibid., § 13.
  4. Ibid., § 14.