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dumont. — m. delbœuf et la théorie de la sensibilité.

projet nouveau dans son ensemble puisse être voulu, il faut que l’habitude ait associé avec une force suffisante l’idée de certains moyens avec l’idée de chaque élément du projet, et l’accomplissement de chacun de ces moyens avec son idée. Il n’y a, par conséquent, ici d’étranger à l’habitude que l’élaboration d’une conception nouvelle, phénomène qui n’est pas du domaine de la volonté.

VII

M. Delbœuf adopte, pour la formation des organes des sens, une théorie semblable à celle de M. Herbert Spencer ; seulement, au lieu de l’appliquer comme ce dernier avec une admirable sagacité, à la genèse de l’intelligence et de la pensée tout entières, M. Delbœuf s’arrête en route et se contente de montrer l’origine de la spécificité des organes des sens. Sur la formation des facultés supérieures de raisonnement, d’imagination et de volonté, il se renferme dans un silence qui semble indiquer qu’il est disposé à les rapporter à un principe hyperphysique.

Comme Spencer, M. Delbœuf suppose à l’origine un être sensible absolument homogène, diversement modifié par des changements différents s’accomplissant dans le milieu. Si par exemple le changement provient d’un foyer de chaleur, l’être sensible s’échauffera seulement du côté tourné vers ce foyer. Ce côté deviendra, aussi longtemps que durera la modification, un organe de sensation ; mais ce ne sera encore qu’un organe adventice et instantané.

Si le milieu reprend son état primitif, le point modifié tendra à revenir, lui aussi, à sa forme première. Mais, en général, on peut affirmer qu’il lui restera une trace, si faible qu’elle soit, de l’action qu’il a subie. S’il est soumis pour une seconde fois à la même action, il reprend plus facilement son rôle d’organe adventice. En effet, le changement extérieur, quand il a affecté cette partie de l’être sensible, y a rencontré certaines résistances et les a vaincues ; par là les forces qui unissaient entre elles les molécules de cette partie ont été, sinon détruites, tout au moins affaiblies ; et si ce même changement se reproduit souvent sur ce même endroit, celui-ci finira par acquérir une aptitude spéciale à se mettre plus facilement à l’unisson avec l’extérieur. C’est ainsi que le contact souvent répété d’un aimant finit par aimanter un barreau d’acier, parce que les molécules de celui-ci, souvent dérangées, finissent par rester dans la position qu’on leur fait prendre. C’est ainsi que l’organe adventice se transforme en organe permanent.