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E. de Hartmann. — schopenhauer et frauenstaedt

des intelligences conscientes, et dirigeant par ses intuitions inconscientes la marche du développement conformément à un plan. Elle pose au processus du monde son but universel, elle mesure et détermine d’après ce but universel tous les buts particuliers que l’on rencontre dans le cours du processus du monde à travers la nature et l’histoire, et ordonne téléologiquement et logiquement la substance et le mode de l’action de toutes les forces naturelles et intellectuelles. Dans une telle conception, l’intellect qui s’élève au-dessus de la satisfaction de la volonté avide de vivre, cesse naturellement d’être regardé comme un parasite dans l’organisme de la nature, et devient la fleur et le fruit de l’arbre en vue desquels tout cet organisme avait été créé. Bien plus, le but final dans le développement du monde, le vrai critérium du progrès depuis les commencements les plus humbles de la vie jusqu’à son point culminant, Frauenstaedt les trouve comme moi dans l’émancipation de la représentation de la volonté, ou, selon l’expression de Schopenhauer, dans l’affranchissement progressif de l’intellect de la volonté, compris, comme il le dit avec beaucoup de justesse, dans un sens relatif. Sur ce point encore il rectifie Schopenhauer en montrant que cette émancipation, cette élévation de l’intellect jusqu’au génie, ne peut pas être un fait accidentel, mais qu’elle a été voulue et poursuivie dès l’origine, que le vouloir le plus élevé est le vouloir de connaître, le désir de l’idée de se connaître elle-même. Ce but s’approche évidemment toujours davantage de son accomplissement dans les progrès de la civilisation et de la science humaine. Or, si c’est là le fond de tout développement régulier, comment ce qui pose originairement le but, ce qui s’assigne à soi-même comme terme la conscience de soi-même, pourrait-il être autre chose que la représentation ou l’idée à l’état de l’être encore inconscient ?

XII. — La négation de la volonté et le pessimisme.


Seulement Frauenstaedt n’a pas pu saisir le but final de ce but intermédiaire, parce qu’en s’arrêtant à tort à la conception subjective de la volonté de Schopenhauer, il a été amené à nier la possibilité de la négation de la volonté comme but final. Qu’il pense ce qu’il voudra de mon hypothèse de la négation universelle de la volonté, il sera cependant obligé de reconnaître que sur ce point aussi je suis resté plus fidèle que lui aux doctrines de Schopenhauer ; car en posant comme but de nous-mêmes et comme but dernier et positif du monde le développement graduel de la conscience,