Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, II.djvu/467

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
457
dumont. — m. delbœuf et la théorie de la sensibilité.

sède pas, tout est dit : je sais que d ne dépend pas de a. S’il la possède, je vérifie si les autres objets qui possèdent a possèdent d, et si cela a lieu, je suis porté à regarder d comme intimement uni à a. Si cela n’a pas lieu, je recommence mes expériences, cette fois-ci, sur la qualité b, puis sur la qualité c ; et si elles ne m’autorisent en aucune façon à regarder d comme uni à b ou à c, je pose d comme une qualité de l’objet A, coordonnée aux qualités a, b et c. On voit ici qu’on raisonne par syllogisme, c’est-à-dire qu’on obtient une conclusion rigoureusement vraie chaque fois que la conclusion est négative, en supposant, bien entendu, que les expériences aient été bien faites ; et qu’au contraire, dans les cas où la conclusion est positive, elle n’est obtenue que par induction[1], et son degré de certitude varie en proportion des vérifications qui ont pu être faites.

Suivant M. Delbœuf, la démonstration mathématique n’est pas autre chose qu’une vérification expérimentale. Le chimiste qui possède sa liste des corps simples, les combine deux à deux, trois à trois, et attend les réactions qui vont en résulter ; le géomètre qui a des plans, des droites et des points combinera, lui aussi, ses droites deux à deux, trois à trois, etc. ; il fera mouvoir un point à l’extrémité d’une droite, pendant que l’autre extrémité passera par un autre point fixe, et il formera un cercle, etc. Puis ces figures obtenues, il les mettra en présence les unes des autres, il placera des angles dans un cercle, des perpendiculaires dans un triangle, et il regardera ce qui se passe. De la définition du triangle et de la définition de la bissectrice d’un angle, vous ne tirerez pas que les trois bissectrices des angles d’un triangle se coupent au même point ; il faut une construction[2].

Cette doctrine, d’après laquelle un postulat ou un théorème géométrique, sont les résultats d’une induction qui reste à démontrer, ou en d’autres termes des hypothèses qui ont besoin d’une vérification expérimentale, n’a rien de commun avec cette doctrine sceptique, assez répandue aujourd’hui, d’après laquelle la vérité mathématique dépendrait de notre constitution, et d’après laquelle aussi les lois de l’espace seraient autres si notre intelligence était autre. De ce que les faits mathématiques se constatent et se connaissent au moyen de l’expérience et de l’observation, il ne faut pas conclure que nous les créons ; ils restent dans leur production complètement indépendants de nous, et loin d’être subordonnés à l’intelligence, ils la dépassent et la gouvernent. Nous sommes obligés de penser la

  1. Essai de logique scientifique, liv. II, ch. ii, § 1.
  2. Prolégomènes philosophiques de la géométrie, p. 78.