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Paul tannery. — la géométrie imaginaire.

cesseurs est purement logique. Mais faisons un peu de métaphysique : je ne parlerai pas pour le moment aux positivistes, puisqu’ils s’y refusent et trouvent un critérium de certitude dans la vérification à posteriori d’une hypothèse, jointe à quelque vague caractère de conformité de sa formule avec les données immédiates de l’expérience. Je constate, en tout cas, que la certitude que me donne le principe de contradiction et les lois du raisonnement est d’un ordre tout différent, et que toute expérience à posteriori ne pourra jamais avoir l’exactitude que je réclame. Je sais d’ailleurs que le principe de contradiction seul est infécond ; c’est un cadre vide où je dois mettre d’autres prémisses. Est-ce de mon propre fonds seul que je les tirerai ? est-ce uniquement de l’expérience ? Ni l’un ni l’autre ; pour tout concept, il y a synthèse de l’objet et du sujet. Il n’y a dans le monde extérieur ni ligne droite, ni plan ; que dis-je ? abandonnons la géométrie, reportons-nous au commencement de l’arithmétique ; il n’y a pas d’unités, au moins telles que je les conçois, pouvant se substituer les unes aux autres dans toutes les opérations logiques auxquelles je les soumettrai ; ce concept de l’unité, tel que je l’introduis dans le raisonnement, n’est-il pas formé de deux éléments, l’un emprunté au monde extérieur, sans lequel toute représentation d’unités distinctes me serait impossible, l’autre emprunté à mon moi intelligible, l’identique permanent, la μονὰς de Pythagore, le ταὐτὸ ϰαθ’ αὑτὸ de Platon, le summum genus de Ferrier[1] ?

C’est par des synthèses un peu différentes, mais analogues, que se forment les concepts géométriques. L’importance de l’élément extérieur est plus grande ; mais l’intérieur n’est pas annulé. De la sorte je puis construire des propositions primordiales, empreintes, par suite de leur double origine, d’un double caractère. Elles peuvent servir à la déduction, être le point de départ de théories rigoureusement enchaînées, sous la seule condition de ne pas admettre en même temps des thèses fondamentales contradictoires, ce que la suite de la déduction ferait d’ailleurs nécessairement reconnaître. D’autre part, elles ne peuvent jamais être vérifiées complètement par l’expérience ni directement, ni indirectement, et par suite un doute reste toujours sur la parfaite exactitude de leur application dans la pratique. Je puis les déclarer absolument vraies subjectivement ; elles restent hypothétiques relativement à l’objet.

Il en est de même pour toutes les autres sciences dans lesquelles

  1. Voir dans la Revue Philosophique d’août 1876, l’article de M. Penjon sur Ferrier. — p. 130-167. On peut faire de nombreux rapprochements entre les idées que nous exprimons, et celles du métaphysicien anglais.