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aucune hésitation ; ils sont constamment vérifiés à posteriori dans les applications pratiques de leurs conséquences. De ces deux circonstances, résulte pour nous la certitude. Il est certainement désirable, au point de vue logique, que ces faits généraux, immédiatement constatés par nos sens, soient rigoureusement énumérés et réduits au moindre nombre possible ; mais pour les progrès effectifs de la science, cela importe peu, au fond.

On voit dès maintenant ce que dirait aujourd’hui un héritier de ces doctrines. Vous avez établi que l’axiome XI d’Euclide ne pourra jamais recevoir que des vérifications à posteriori ; le maître l’a dit pour tous les axiomes. Mais n’allez pas plus loin ; n’essayez pas de faire de la géométrie une science d’un autre ordre, comme la physique mathématique, où l’on épuise toutes les hypothèses rationnelles possibles avant de procéder à des déterminations de coefficients et à des vérifications expérimentales. Nous ne vous attendions pas pour retourner la proposition du platonicien Dercyllides[1] : De même qu’il faut des hypothèses en géométrie, il en faut en astronomie. Mais prenons cet exemple ; l’hypothèse de Copernic a deux mille ans de moins que le postulatum ; elle ne se prête qu’à des vérifications expérimentales beaucoup plus incertaines. Prétendrez-vous qu’il faille l’abandonner pour une autre plus générale, et refaire tout à nouveau la mécanique rationnelle ? Employons mieux nos efforts : ne vous arrêtez pas au début de la route frayée en rêvant d’en percer une autre ; tâchez de prolonger celle où marche l’humanité. Ce qui nous sépare n’est au fond qu’une question de méthode, nous reconnaissons toute la valeur de l’appui que vous nous apportez ; mais n’en modifions pas le sens. Le postulatum d’Euclide est une hypothèse, mais il en est de même de tout autre prétendu axiome, et il est aussi légitime, comme hypothèse, que l’affirmation des trois dimensions de l’espace.

Il serait juste maintenant de donner la parole à un des défenseurs actuels de la nouvelle géométrie. Je terminerai cette étude en essayant, après les deux autres, de remplir aussi ce nouveau rôle, tâche que me facilitera surtout l’amitié dont veut bien m’honorer M. Hoüel, l’homme qui aurait sans doute, en France, le plus d’autorité pour le prendre[2].

Nous reconnaissons parfaitement, dirai-je dans mon nouveau personnage, que l’œuvre de Lobatchewsky, de Bolyai et de leurs suc-

  1. Theonis Smyrnæi platonici liber de astronomiâ, publié par Th. H. Martin, — Paris, Dezobry et Magdeleine, 1849 — ch. XLI.
  2. Du rôle de l’expérience dans les sciences exactes, par M. J. Hoüel, professeur à la Faculté des sciences de Bordeaux. — Prague. Ed. Grègr. 1875.